REVERSAL

4 / Kris

12 septembre 2011

Ses yeux bleus pétillent d'une lueur que je n'avais encore jamais observée, si proche. Ils sont comme un océan en plein éclat, parsemé de touches de lumière plus claire. Elle porte un t-shirt blanc qui descend jusqu'à ses fesses, accompagné d'un short noir. En dix jours, c'est la première fois que je la vois vêtue de vêtements qui ne dissimulent pas entièrement son corps. Ses poignets délicats et ses bras marqués de cicatrices révèlent une histoire qu'elle semble porter en silence.

Elle monte aussitôt à l'étage, prétextant avoir cours demain. Pourtant, nos cours ne commencent qu'à 10 heures, comme je le sais bien.

-   Tu auras rencontré ma sœur comme ça, dit Jay.

-    Elle a l'air sympa..., répondis-je, mon esprit encore imprégné de la rencontre troublante avec Nya.

-    Tu l'aimerais bien si tu la connaissais encore mieux. Elle est assez timide, mais il suffit de savoir l'apprivoiser et de lui arracher un sourire.

Si seulement tu savais, mec, que ta sœur semble perdue, cela se lit dans ses yeux. J'ai remarqué.

-    Alors, comment s'est passé ton anniversaire en famille ? demandai-je, changeant de sujet.

-    Eh bien, ma grand-mère pense depuis 5 ans que j'ai 20 ans, répondit-il en riant.

-    Elle t'a rajeuni, mec. Vingt-cinq ans, c'est pas si mal...

Jay dépose nos verres de Pepsi vides dans l'évier et je jette un coup d'œil à l'horloge. Elle indique presque minuit, et la fatigue commence à me gagner.

-    Je vais aller me coucher si ça ne te dérange pas, lui dis-je en le regardant.

-    Ta chambre est en haut des escaliers, la première porte à droite. La mienne est en bas. Appelle-moi si tu as besoin de quelque chose. La salle de bain est juste à côté de ta chambre.

-    Merci mec, à demain.

Je récupère mon sac que j'ai posé sur le canapé et je monte à l'étage. En entrant dans la chambre, je remarque une moquette blanche et des murs de la même couleur, sobre et simple. Il y a un petit bureau, un lit double avec des tables de chevet de chaque côté. Un banc est placé au bout du lit, où je pose mon sac et ma veste.

Je sors un t-shirt blanc et un short pour dormir, ne me permettant pas de dormir en caleçon dans une maison qui n'est pas la mienne. J'ouvre la fenêtre pour faire entrer un peu d'air frais.

Brosse à dents et dentifrice en main, j'ouvre ma porte pour me diriger vers la salle de bain. À peine ai-je atteint la porte que j'entends des bruits, quelqu'un est en train de vomir là-dedans. Et cela ne peut être que Nya, car il y a une salle de bain au rez-de-chaussée. Je décide tout de même d'entrer dans la pièce.

La lumière jaunâtre de la salle de bain révèle une baignoire et une douche, avec les toilettes derrière la porte.
   
      Elle est là, penchée au-dessus de la cuvette, les doigts enfoncés dans sa bouche, essayant de se débarrasser de ce qui l'encombre. Une de ses mains s'accroche désespérément à la cuvette, rouge et ensanglantée, les ongles rongés jusqu'au sang. Je me demande ce qui a bien pu se passer en si peu de temps.

-    Hey... ça va ? tentai-je.

À peine les mots ont-ils franchi mes lèvres qu'elle se redresse brusquement, me faisant face. Ses yeux sont injectés de sang, des marques rouges marquent la paume de ses mains, où elle s'est visiblement griffée. Le coin de sa lèvre est fendu, des traces de sang s'y mêlent.

-    Va-t'en ! me crie-t-elle.

-    Qu'est-ce qui s'est passé, Nya ?!

Nya reste silencieuse, se tordant les doigts, la tête baissée comme si elle avait honte que je l'aie surprise dans cet état.

-    Je ferais mieux d'aller chercher ton frère, déclarai-je en me retournant.

Mais à peine ai-je fait un pas que sa main saisit fermement mon poignet.

-  Non... s'il te plaît... murmure-t-elle.

En cinq mots, elle me fait comprendre qu'elle ne veut pas d'aide, mais je ne peux pas la laisser ainsi. Je ne peux pas.

-   Tu as une trousse de secours ici ? demandai-je.

-    Dans le placard..., répond-elle faiblement.

-    Assieds-toi sur le meuble, je vais désinfecter tes mains et ta lèvre, lui dis-je.

Elle obéit. J'attrape la trousse dans le placard, sort deux compresses, un coton-tige et du désinfectant. M'approchant d'elle, je prends sa main pour la tourner, paume vers le plafond.

-   Ça risque de piquer, désolé..., l'avertis-je.

Je pose délicatement la compresse sur ses blessures, son visage se crispant légèrement, mais elle ne prononce aucun mot.

-   Tu vas en parler à mon frère ou à mes parents... ? demande-t-elle anxieuse.

-    Non, je ne dirai rien, à moins que tu ne le veuilles ?, répondis-je.

-    Non..., répond-t-elle immédiatement.

Une fois ses deux mains soignées, je prends un coton-tige que j'imbibe d'eau cette fois-ci, afin de nettoyer sa lèvre écorchée à la force de ses dents.

-    Tu préfères peut-être le faire toi-même ? proposai-je.

Elle hoche la tête et prend le coton-tige de mes mains. J'en profite pour ranger ce que j'avais sorti et tirer la chasse, la cuvette étant pleine de vomissures et même de sang.

Je ne lui demande pas comment elle se sent, car je sais que la réponse ne serait pas sincère. Même si au fond de moi, je connais déjà la réponse, ce n'est pas à moi de prendre soin d'elle de cette manière.

-    Tu ferais mieux de ne pas aller en cours demain, tu es épuisée, reste chez toi, suggérai-je.

Elle reste silencieuse, les larmes perlant sur ses joues, illuminant ses yeux d'une lueur humide.

-    Je vais aller me coucher..., murmure-t-elle en essuyant ses larmes.

-    Ça va aller ? Tu ne veux pas que j'appelle Jay ? proposai-je.

-    Non, c'est bon, merci monsieur Conrad..., répond-elle d'une voix faible.

-   Quand je suis ici, appelle-moi Kris et tutoie-moi, ajoutai-je.

Alors que je me lave les mains, je ne peux m'empêcher de repenser à Nya. Son regard hanté, ses mains marquées par les cicatrices, tout cela me rappelle à quel point elle est vulnérable. En retournant dans ma chambre, je suis accablé par le poids de cette découverte. Comment peut-on être si brisé à un si jeune âge ?

Je m'installe sur mon lit, perdu dans mes pensées tourbillonnantes. La solitude de cette chambre étrangère me pèse soudainement, et je me sens étrangement proche d'Nya malgré la distance physique qui nous sépare. Je suis frappé par l'idée que, peut-être, il y a quelque chose que je puisse faire pour l'aider, même si je ne sais pas exactement quoi.

Je me surprends à penser à Jay, son frère. Il semble être le seul à vraiment voir une petite parcelle de la douleur d'Nya, à en juger par la manière dont il la protège et prend soin d'elle. Mais même lui ne peut pas être partout à la fois.

Mes pensées sont envahies par elle.
Elle m'intrigue.

𖦹𖦹𖦹
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