HARRY (🤦🏻💅)

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— Oh tiens, quelqu'un s'est souvenu de la route jusqu'au théâtre !

Harry fait claquer sa langue en refermant la lourde porte métallique derrière lui.

— On t'attendait pour retoucher les costumes !

Il profite d'avoir encore le dos tourné pour rouler des yeux, et puis il s'avance dans l'allée le menant jusqu'aux coulisses du petit théâtre. Une femme à l'aspect rabougri l'attend, la lèvre retroussée. La terreur du théâtre. En réalité, sa responsable. Elle est celle qui chapeaute tout ce qui a trait aux costumes, et elle mène sa petite troupe à la baguette. Harry ne prend pas beaucoup de plaisir quand elle est dans les parages.

Son mauvais caractère, certains des collègues d'Harry disent qu'il est né quand son mari l'a laissé tomber. Ils avaient tous les deux acheté ce théâtre avant qu'il ne disparaisse avec une jeune fille de 20 ans sa cadette. Margaret s'était alors retrouvée seule pour tout gérer : la programmation, les démarches pour avoir des subventions, la promotion du théâtre, les relations avec les comédiens, les cours pour les amateurs, les répétitions, la création de pièces, les costumes... Les années passant, elle s'est finalement consacrée uniquement à cette tâche.

Ce sont les comédiens et les techniciens volontaires qui s'occupent maintenant du reste. Sauf qu'aucun d'entre eux n'est un super héros. Et personne ne souhaite passer 20 heures sur 24 au théâtre. Alors, les tracas s'accumulent parfois, et le théâtre est rarement parfait. Margaret a dû faire nombre de concessions, dont celle de déléguer.

En réalité, ça la tue de voir l'œuvre de sa vie s'éteindre à petit feu. The Velvet Assembly Hall a accueilli des pièces prestigieuses en son temps. Aujourd'hui, ce n'est rien d'autre qu'une blague pour les journalistes qui acceptent encore de s'y rendre.

Le théâtre est devenu désuet, et les ambitions de Margaret ont vite été rattrapées par la réalité. Pourtant, elle n'a jamais abandonné. Son niveau d'exigence n'a jamais baissé, et très objectivement, certaines créations tiennent encore la route. Tout cela est une bien triste histoire. Elle a touché Harry la première fois qu'il l'a entendue, mais aujourd'hui, il voudrait être partout, sauf ici. Sa journée a déjà très mal commencé à cause de l'autre abruti, et il a l'impression qu'elle ne va qu'empirer.

— Je vous ai appelée pour vous dire que ma voisine m'avait confié sa fille en urgence. Elle est malade, j'ai dû la garder une heure parce qu'elle n'avait personne d'autre, et elle ‒

Il se fait couper par une montagne de tissus qui viennent s'échouer dans ses bras. C'est à peine s'il peut voir au-dessus de toute cette pile. Il aurait aimé que le nuage de poussière ne soit que dans sa tête, mais non. Il le fait tousser alors que ladite Margaret roule des yeux.

— Ce n'est pas mon problème, tu as une heure de retard. Je veux que tu me regardes tout ça et que tu me dises quels tissus peuvent être utilisés. Ce n'est pas négociable, on est trop serrés dans le budget ce mois-ci pour en racheter. Ne jette rien et viens me voir avec des idées de patrons quand tu auras fini.

Harry se trace difficilement un chemin jusqu'à son bureau de fortune, et il laisse les tissus tomber à ses pieds pour pouvoir s'asseoir un instant. À côté de lui, sa collègue lui fait un sourire compatissant alors qu'elle approche discrètement sa chaise pour lui parler.

— C'est ce qu'on appelle une entrée.

— J'aurais pu m'en passer... Qu'est-ce que j'ai raté ?

— Oh, je dirais que tu as bien tout rattrapé. Elle est imbuvable, depuis ce matin. Plus que d'habitude, j'ai l'impression.

Elle baisse la voix pour ne pas se faire réprimander, et ils échangent un sourire complice. Harry termine de s'installer, et un soupir s'échappe de ses lèvres alors qu'il essaie de se dépatouiller. Certains tissus peuvent être utilisés sans problème. Quant à d'autres... Il ne veut même pas savoir d'où ils sortent, ou si leur lieu de stockage est vraiment envahi de souris qui grignotent ce qu'elles trouvent.

— Elle ne m'a même pas dit quelle tenue elle comptait voir avec tout ça.

— Esmeralda.

— Esmeralda ? La Esmeralda du Bossu de Notre-Dame ?

— Ne critique pas son génie, elle pourrait t'entendre et venir t'assommer avec un balai.

Le commentaire plein d'ironie de Laura lui arrache un petit rire. Bien vite, des regards curieux se posent sur eux, et Harry se reprend pour se concentrer. Il espère que cette adaptation ne se fera pas avec des comédiens qui parlent approximativement le français. Ou, à l'inverse, avec des Anglais qui parlent à peine français. Il faudrait quelque chose d'audacieux pour dépoussiérer l'histoire et ce personnage — au sens propre, comme au figuré.

Alors, quand de premières images du costume lui viennent en tête, il laisse tomber les tissus pour attraper ses crayons et du papier. Certes, il travaille à l'envers, mais peu importe. Quand l'inspiration frappe à sa porte, il faut toujours qu'il se mette tout de suite au travail. Sinon, elle disparaît comme si elle n'avait jamais existé.

Il se met à dessiner frénétiquement pendant une paire d'heures. Certaines esquisses finissent à la poubelle, et finalement, d'autres atterrissent sur le bureau de Margaret. Il ne prend pas la peine d'attendre son avis, et il file directement s'occuper des étoffes laissées de côté. Leur tri lui prend presque toute la journée. D'ailleurs, il est le tout dernier encore présent dans le théâtre en début de soirée. Laura lui a proposé de les rejoindre, elle et son copain pour aller boire un verre en ville, et il a plus que hâte de revoir la lumière du jour.

— Ça ira pour ce soir, Harry.

Il se redresse quand les talons de la petite dame se rapprochent de lui, et elle dépose finalement deux des croquis réalisés sur la petite table.

— C'est très bien. Surprenant, mais j'aime ça. Tu pourras les commencer demain.

Harry esquisse un sourire, et il la remercie avant de rassembler ses affaires. C'était une longue journée.

Stardust Melodies {L.S}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant