Chapitre 14 - Pour porter le monde

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Arjen


Légèrement ébloui par le rayon du soleil qui avait pointé le bout de son nez, je me décalai, agacé. Le regard braqué sur le corps endormi d'Adiel, je sentais mes tripes se retourner de rage. Dehors, j'entendais l'agitation causée par Egbert tandis que les frères Gunnar et Gudbrand tentaient de le distraire. Cependant, il semblait prêt à tout détruire sur son passage juste pour m'atteindre. Le roi Ingvar regardait d'un œil distrait ce qu'il se passait à l'extérieur.

— Je lui ai donné mon accord pour prendre une jusquiame noire, annonça le roi. J'étais curieux de voir ce dont vous étiez capable. Ce facteur inconnu m'inquiétait et Egbert semblait le moins réfléchi de vous tous ; le plus apte à se laisser piéger.

Je relevai la tête vers lui. J'avais l'envie presque irrépressible de lui faire rencontrer le sol. Quand bien même le roi voulait la paix entre nos peuples, il n'oubliait rien de la guerre qui avait éprouvé nos deux royaumes. Accorder à Egbert ce qu'il désirait le plus, le pousser à en utiliser, c'était malin. Par malheur, Egbert et le roi avaient impacté Adiel. Je pouvais pardonner un amusement bref de la part du rouquin ou la mesquinerie du roi, car ni l'un ni l'autre n'avaient eu d'intentions foncièrement mauvaises.

Mais pour une raison qui m'enrageait un peu plus et qui m'était inconnue, voir Adiel alité à cause d'un choc... j'avais du mal à leur pardonner. La réaction du prince m'avait tordu le cœur. On aurait dit que le sol s'était écroulé sous ses pieds. Son corps avait tremblé si fort que même sans le tenir j'avais pu le percevoir. Alors je comptais bien obtenir réponse à mes questions. Personne ne réagissait ainsi sans raison et Ingvar devait le savoir.

— Vous vous questionnez sur mon frère ? devina le roi. Je ne savais pas qu'il réagirait ainsi. Il a dû voir plus que je ne le pensais.

— Étayez.

Je n'arrivais plus à contrôler mon hostilité. Je devais rester calme, ne pas faire réagir la terre, mais même ma voix grondait aussi cruellement que le tonnerre.

— Nous nous ressemblons Einherjar, vous souvenez-vous ? Les géants montent aux pouvoirs en abattant le chef actuel, tout comme vous l'avait fait avec l'ancien Einherjar, votre père.

Mon esprit parvint à la conclusion de lui-même : les paroles d'Ingvar, la réaction d'Adiel face à Egbert et même le plan initial du roi pour m'empoisonner. Adiel m'en avait parlé alors j'étais conscient de l'utilisation dont faisait preuve Hemel avec la jusquiame noire. Si pour nous cette plante était une bénédiction, pour eux, en plus d'être une mauvaise herbe, elle était un poison. Le roi Ingvar avait pris le pouvoir en empoisonnant le dernier roi, son père. À ma façon, il était monté sur le trône.

Le visage d'Egbert, veiné de noir, avait rappelé au prince le sort des morts. Bien sûr que le choc avait été suffisamment grand pour le terrifier et lui faire perdre la tête, ne serait-ce que brièvement. Je le regardai à nouveau et me penchai pour pouvoir atteindre son front. Quand bien même il était voilé, je le caressai, m'imprégnant de sa fraîcheur. Il m'apaisait. Il n'avait pas la solidité des géants. Il était fragile et il me fallait prendre terriblement soin de lui.

Egbert se rappela à moi à travers la terre. Cette dernière vibra sous mes pieds, résonnant face à son appel. Je me retournai, prêt à m'occuper de son cas, mais Noortje, dont j'avais fini par oublier la présence dans la tente, agrippa mon bras. Je m'immobilisai sous son geste. Je dardai mon regard sur sa main et remontai lentement pour la fixer. Elle comprit d'elle-même et me relâcha. Tout, absolument tout, était idéal pour m'énerver aujourd'hui. J'avais voulu, dans l'idéal, commencer cette journée avec le prince et le lever du soleil, en vain.

BJÖRSARION - LA TERRE DES GÉANTS (BL)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant