BJÖRSARION - LA TERRE DES GÉANTS (BL)

Chapitre 36 - À l'horizon : Lumenis

Adiel

— Ce n'est pas tant qui vous êtes qui est important, mais celui que vous saurez devenir. Le choix d'Einherjar sera considéré comme absolu malgré la désapprobation des géants, mais c'est brisé dès que l'Einherjar se montre faible.

J'interrogeai Egbert du regard. « Faible » était assurément une insulte, mais comment qualifier un être de faible selon ses choix ?

— La faiblesse se voit toujours dans les actes désespérés et irréfléchis, dans les règles brisées pour un désir fugace ou non. L'Einherjar est la hache des géants. Il est puissant, inatteignable, inviolable, comme les montagnes de Björsarion.

Le rouquin avait un air, on ne peut plus sérieux et cela détonnait presque avec son visage joyeux des derniers jours. Il s'était pris de passion, de m'apprendre comment me comporter, de m'empêcher d'avoir des gestes déplacés envers Einherjar. Je lui en étais reconnaissant. Je désirais plus que tout être accepté par les géants et j'étais prêt à écouter Egbert parler durant des heures et des heures pour cela, quand bien même sa voix était sèche et rude.

— Et il doit le rester. Je ne dois pas montrer que je pourrais être une faiblesse pour lui.

Il acquiesça, satisfait de ma réponse.

— C'est ça. C'est pour ça que vos étreintes en public, vos marques de tendresse, tout ça, vous devez l'oublier. Votre chambre, votre chez vous, c'est seulement là que vous devez montrer ça ou pendant les soirées fertiles.

« Soirée fertile ». Gunnar et Gudbrand m'en avaient parlé. Des nuits où les géants se montraient leurs affections. On y enlaçait, embrassait, partageait et étreignait. Je ne me sentais guère prêt à assister à cela, mais je comprenais ce qu'il me disait.

— Mais vous serez deux à diriger. Vous, exposa-t-il en posant sa grande main contre mon cœur, vous êtes Jötnar, le cœur des géants. Einherjar vous écoutera. Vous devez le soutenir, d'un regard, d'une main contre son bras ; d'un geste discret, mais d'une grande importance.

Je posai ma main sur la sienne et ancrai mon regard dans le sien. J'avais pu le voir à plusieurs reprises et je le voyais à nouveau là. Lorsque le crépuscule arrivait sur le navire, si Egbert se trouvait au bon endroit, alors les rayons du soleil le caressaient et la magie se révélait alors. Sa barbe rousse et ses cheveux devenaient un feu sauvage éblouissant et ses yeux bruns s'éclaircissaient autant que le miel. Il paraissait soudain moins terrifiant, même sans sourire.

— Ouais, ce genre de regard, affirma-t-il.

Il retira vivement sa main et je retins un sursaut, soudain réveillé dans mon admiration. Les géants étaient beaux. Gunnar et Gudbrand l'étaient. Egbert l'était. Arjen l'était. Le grand rouquin racla sa gorge et continua ses explications. En vérité, je commençais à comprendre les géants et ce que l'Einherjar signifiait pour eux ; ce que j'allais signifier. Je n'étais plus le prince des hommes, mais bien un être plus important, à la tête d'un peuple qui s'ouvrait tout juste au monde.

En vérité, s'ils parvenaient à m'accepter, alors peu à peu, ils seraient capables de trouver de la valeur au monde entier. Je comprenais les paroles de Rouge-gorge. Au plus j'écoutais Egbert m'apprendre, au plus je comprenais que mes rêves d'aventures seraient bien différents de ce dont j'avais tant rêvé. Je n'étais pas destiné, comme je l'avais espéré, à voguer sur les mers et à côtoyer d'autres peuples. Non, j'étais Jötnar et je devais prendre soin de celle qui était devenue ma terre.

Alors, lorsque je regardais l'horizon et le soleil qui, après toute cette discussion, s'était presque couché, je compris que mes aventures ne me porteraient guère là-bas, mais bien dans mon foyer. Je fermai les yeux, écoutant les flots et leur langage si familier ; humant leur parfum ; ressentant leurs éclats sur mes joues. Ce n'était pas grave. J'avais quitté Hemel et il ne tenait qu'à moi de ne pas m'enfermer dans ce nouveau royaume. Je m'en faisais la promesse.