Chapitre 21 - Le tambour et l'oiseau

281 36 14
                                    

Adiel


Mon frère était le roi d'Hemel, la grande cité des hommes. Il était si puissant que plus d'une contrée, plus d'un pays pouvaient plier genoux pour un regard ou un soutien de sa part. Son influence atteignait même les lieux que nous n'avions jamais visités, pas même au travers des histoires de notre mère. Il m'avait entravé de ses mots, les maniant avec habileté comme un souverain savait le faire. Il m'avait contraint par la peur, la crainte que ce qu'il n'est arrivé à nos parents ne m'arrive également.

J'avais souhaité sa mort, plus d'une fois, afin de me défaire de cette prison dorée dans laquelle il m'avait enfermé et gardé si longtemps. Que le palais s'écroule sur lui, que les flots l'engloutissent, que les flammes le dévorent et que des lames le transpercent, je pensais n'en avoir cure. Qui aimerait son bourreau et souhaiterait sa survie ? Qui était suffisamment fou pour espérer la survie d'un tel être ? Mes mains, recouvertes de son sang, étaient ce dont j'avais pourtant rêvé.

Mais je me souvenais. Je me souvenais enfant du garçon qui apaisait mes chagrins par de douces étreintes ; de celui qui embrassait mes bobos lorsque je me blessais ; de celui qui venait me retrouver avec une bougie au cœur de la nuit lors des soirées de tempêtes où l'orage grondait ; de celui qui pleurait lorsque mes larmes coulaient tant il m'aimait ; de celui qui venait sans cesse me chercher pour que l'on se cache dans les tréfonds du palais ; de celui qui, jamais, ne m'avait considéré comme un poids.

C'est ce qu'avait été mon frère.

Mais je ne pouvais pas oublier. Oublier celui qui avait empoisonné nos parents ; de celui qui m'avait privé de ma liberté ; de celui qui contrôlait ma vie jusque dans mes habits ; de celui qui contrôlait mes mots ; de celui qui me privait de mes envies si elles ne lui allaient pas ; de celui dont le regard, si fourbe, me clouait sur place ; de celui qui avait arraché mon cœur de par sa froideur ; de celui qui avait piétiné mon amour pour lui de par sa malice.

C'est ce qu'il était aujourd'hui.

Pourtant... pour la vue de son sang était si insoutenable ? Mon cœur frémissait d'effroi, brûlait de chagrin, hurlait de terreur. Après l'avoir souhaité tant de fois, je me surprenais à ne pas souhaiter sa mort. Je ne voulais pas qu'il devienne un souvenir. Je ne voulais pas voir sa statue être érigée si tôt. Et qu'est-ce que sa mort impliquerait ? Devrais-je rester à Hemel ? Devrais-je me marier à une lemehienne plutôt qu'à l'Einherjar ? Je secouai vivement la tête, reculant pour m'échapper de cette idée.

Je butai contre un torse et relevai la tête. Egbert posa sa main sur mon épaule tandis que le bateau accostait. Einherjar, à peine le navire avait-il atteint le port, sauta de celui avec le corps de mon frère dans ses bras. Il hurla pour de l'aide tandis que les lemehiennes se hâtaient ainsi que les hemeliens. Je regardai Einherjar disparaître sur le dos de sa monture, Vindr, tandis qu'il regagnait le palais, tenant étroitement du roi contre lui.

— Reprenez-vous. Vous êtes le prince. Si le roi ne peut assurer ses fonctions, c'est à vous de le faire. Les hommes vont penser que les géants ont blessé le roi. Vous devez leur parler, exposa Egbert.

En le regardant, je sus qu'il ne tentait pas de me consoler. Il veillait sur les siens. Nous étions partis en mer avec les géants, bien sûr que les hommes allaient se méfier ! Je refermai mes poings. Egbert avait raison. Je ne pouvais pas laisser le chagrin et la peur prendre le dessus. Je devais me contrôler ; je devais éteindre le feu avant qu'il ne se propage. N'importe qui qui aurait vu le roi passer avec Einherjar serait déjà en train de s'inquiéter.

J'acquiesçai et avec son aide, celui des lemehiennes et des géants, nous rassemblâmes les hommes. Je devais veiller à mes mots. Je ne devais pas inquiéter le peuple sur le danger des pirates, de ce sorcier... ça n'était pas à moi d'énoncer ce sujet. C'était au roi d'en parler avec le peuple et de trouver les mots justes pour les rassurer. Aujourd'hui, je me devais d'apaiser leurs craintes sur les évènements ni plus ni moins. Je devais disculper les géants de toutes accusations.

BJÖRSARION - LA TERRE DES GÉANTS (BL)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant