Chapitre 22 - Les conteurs : Noortje

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Arjen


« Det är som mörkast innan gryningen », un vieux dicton géant. Transmis par nos aïeuls, par notre Amma, aujourd'hui, nous le récitions pour un autre que les géants. J'aurais aimé que le premier chant soit destiné au prince, mais le roi était mourant et le peuple des hommes était malheureux. Les miens ne chantaient pas. Nous nous lamentions et seuls les conteurs avaient droit de poser des mots véritables. Noortje était notre conteuse et ce fut sa voix qui s'éleva pour prononcer ce vieux dicton.

« Il fait plus sombre avant l'aube », traduisions-nous en langue universelle. Cela signifiait qu'un temps de malheur était présent, qu'il planait douloureusement au-dessus de nos têtes, mais que toujours la lumière revenait. L'aube était l'espoir ; l'espoir d'un nouveau jour, d'un nouveau commencement, d'une nouvelle page de l'histoire. C'était une certitude que demain existerait toujours, avec ou sans nous, et la voix divine de Noortje transportait nos prières jusqu'aux divinités.

Puisse Land entendre nos lamentations et épargner le roi, ne serait-ce que le temps que nos destins ne se lient véritablement. Puisse Deyja, la mort, trouvait un accord avec Heilsa, la vie et la santé, sur le sort qui attendait l'illustre roi de Hemel, la cité des Hommes. Lui qui n'eut besoin d'aucune guerre pour que son nom soit connu et respecté ; lui qui n'eut besoin d'aucune union pour affirmer sa puissance et son autorité ; lui qui n'eut besoin d'aucune violence ou de peur pour assurer la fidélité de son peuple à son égard.

Nous n'avions eu que peu de place pour nous assembler et évoquer nos lamentations. À défaut de le faire sur les terres enneigées de chez nous, nous nous étions réfugiés dans mes quartiers. Noortje se tenait accroupi devant nous tous et ma main reposait sur l'une de ses épaules ; l'autre étant prisé par Egbert. Derrière nous, chaque géant avait la main sur l'épaule d'un autre. Cela reliait nos âmes, nos prières, nos convictions, nos souhaits ; tous, pour ne faire qu'une et l'élever au ciel.

Nous prîmes toute la journée. Certainement nos voix avaient-elles porté dans le palais hemelien. Aussi, lorsque la voix de Noortje se tarit comme un fleuve devenu aride, je regagnai les quartiers du roi pour prendre de ses nouvelles. Egbert et Noortje m'accompagnèrent.

— Que faire si le roi meurt avant ? Il n'est pas un géant et notre Amma n'est pas là pour lui procurer les soins, énonça Noortje.

— J'ai vu leur médecin. Il n'a fait que le charcuter, approuva Egbert. Ils ont beau avoir une grande armée, être l'un des plus grands peuples. Leur médecine est médiocre.

— Je ne pense pas que le problème vient de leur médecine. Le mal qui a touché le roi est nouveau. Amma elle-même a lutté pour vous, mais Noortje a raison sur un point : il n'est pas un géant. Il n'a pas notre robustesse.

Est-ce que le roi allait tenir ? Je ne pouvais que l'espérer. L'espoir était souvent ce qui demeurait, ce en quoi chacun décidait de croire. Egbert et Noortje avaient survécu par la grâce d'Amma et parce que notre race était solide. Les hommes étaient petits et frêles, fragiles et fébriles. S'il ne survivait pas au moins jusqu'au mariage, nous pouvions dire adieu à l'union. Je pouvais dire adieu à mon prince et mes pas avaient le mérite de montrer le mécontentement à cette idée.

— Le petit prince a bien géré le problème. Il a calmé l'esprit de son peuple.

Je levai un regard curieux vers Egbert. Venait-il de complimenter Adiel ? Ce grand idiot parvint à m'arracher un sourire. Bien sûr qu'il n'aurait pas résisté au prince. Sa nature dévouée à notre peuple était on ne plus désirable et je ne cessai de m'en émerveiller. Ça n'était qu'une question de temps pour que les miens voient ce que j'admirais tant chez un si petit homme. Mais pour Noortje... elle semblait toujours indifférente. Certainement le resterait-il.

BJÖRSARION - LA TERRE DES GÉANTS (BL)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant