Chapitre 33 - Les aventures qui sont tues

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Adiel


Mon corps frissonnait contre celui de l'Einherjar. Après avoir somnolé sur le pont, nous avions regagné notre couche. Épuisé, il s'était endormi comme une masse, la tête blottie contre mon torse. J'avais passé la nuit à caresser son crâne dont les cheveux blond pâle commençaient à grandir ; sa barbe également. Cela lui donnait un air d'ours, quelque chose qui se rapprochait d'Egbert et sa rudesse. Son sommeil était paisible. Cela trahissait la tranquillité d'esprit qu'il possédait.

Même durant son sommeil, ses bras m'enlaçaient tendrement. Il ne bougeait pas. Il était une masse immobile dont la respiration profonde en devenait hypnotisante. Et je crus, toute la nuit, que le navire était son reflet. J'avais du mal à croire que nous étions en mer tant le calme était maître du navire. Ma première nuit sur le navire... je n'en avais pas espéré autant : blottis dans les bras du géant, loin de Hemel, vers une vie nouvelle, sous un ciel que je n'avais jamais pu admirer, avant aujourd'hui.

J'avais la tête rêveuse, niaise de bonheur, ivre de joie et de rêve, gourmande d'attente. J'ignorais comment canaliser tout cela ! C'était si... nouveau ; nouveau et incontrôlable ! Je me surprenais à sourire, à imaginer demain sans une boule oppressante dans ma gorge ou mon ventre. Je me surprenais à désirer l'Einherjar plus encore, à imaginer ce que cela serait de le voir sans sa retenue à mon encontre. Je voulais le découvrir dans son naturel le plus brut !

Mais pour le moment... je préférais le laisser se reposer. Le soleil n'était pas encore levé et l'Einherjar méritait de se réveiller avec lui. Alors je tirai légèrement ses bras pour m'échapper. J'aimais sa chaleur, mais j'avais besoin de confirmer que je ne rêvais pas. Je devais voir le navire et la ligne d'horizon. J'en avais tant besoin ! Je sortis sur la pointe des pieds, silencieux comme mon ombre. Je refermai la porte derrière moi et eus le souffle coupé en regardant autour de moi.

Je n'avais pas raison.

J'étais bien ailleurs.

On disait que de tous les dieux, la divinité des flots était celle qui éprouvait le plus d'attachement pour ses enfants. On racontait que sa colère qui frappait les mers était la plus terrible qui puisse exister parmi les déités. Les marchands affirmaient que les navires pirates avaient été entraînés dans les fonds pour quiconque avait tenté de lui arracher ses enfants. J'avais, pour ma part, pu admirer les puissances des océans hier et j'en frissonnai en pensant à ce que cela serait sous la fureur.

Je ne pouvais m'en lasser. Le soleil se levait à peine vers l'horizon que j'étais déjà sur le pont. Ses rayons perçaient à peine la ligne lointaine que je me retrouvai nostalgique à admirer son levé. Autrefois, lorsque Hemel était encore synonyme de maison, mère et moi avions pris l'habitude de le regarder se lever. Et c'était là, aux premières lueurs du matin qu'elle me racontait les aventures contaient dans les livres qu'elle me faisait découvrir le vaste monde.

Mère avait été douée pour cela : les mots étaient son art. Elle l'avait manié comme personne avant elle. Elle avait, dans une vie lointaine peut-être, était conteuse. Elle aurait pu être un aède, une poète. Eux, dont les voix étaient si mélodieuses qu'on les disait loués par la divinité du son. Certaines recevaient des bénédictions et mère l'avait certainement reçu. Mon cœur ne pouvait être plus chaleureux. Penser à elle était une étreinte pour mon palpitant.

Hemel n'était peut-être plus ma maison, mais elle, elle le demeurait. Et tandis que je tournai ma tête, espérant la voir à mes côtés, les divinités m'offrirent un mirage. Il fut court, autant qu'un battement de paupière, qu'un battement d'aile d'un papillon. Aussitôt fut-il là qu'il disparut. Je reportai mon attention au loin. Elle ne me quittait pas, jamais. Cela me suffisait. Et lorsque les premiers rayons du soleil vinrent caresser mon visage, je fermai mes yeux.

BJÖRSARION - LA TERRE DES GÉANTS (BL)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant