Chapitre 25 - Les aventures et le règne

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Adiel


— Suivez le prince Einherjar. Laissez ses pas vous guider.

La pression de mes doigts contre les siens était égale à la caresse d'aile d'un papillon. Si ce dernier virevoltait dans mon estomac depuis l'arrivée du géant, aujourd'hui il devait être le symbole d'une délicatesse précieuse. Espoir de demain, cette danse était la valse hemelienne. Il ne s'agissait pas de l'héritage des femmes cette fois. Ces pas étaient ceux des hommes ; ceux-là que le véritable Lancastre, le grand-maître humain de la soie, avait appris à maîtriser plus que la royauté elle-même. La cité de Ranuria, pleine de couleurs, de masques et de tenues fous et exotiques, était assurément la mieux placée pour admirer cette danse.

L'usurpation de Rouge-gorge en tant que Lancastre avait été passé sous silence. Son sort avait endormi le public et à leurs réveils, aucun d'eux ne s'était souvenu de l'évènement. Le roi avait donc tut ce fait et Lunya avait envoyé un navire avec plus de deux cents hommes à son bord pour aller s'enquérir de l'état de la cité de la soie, Ranuria. À juste titre, nous étions inquiets. Cette terre nous était chère pour plus d'une raison et à l'image de Lemeh, terre des femmes, nous entretenions des relations amicales avec elle.

Lancastre était un homme estimé. Être grand-maître de la soie était un titre plus élevé que celui des ducs. Il avait, tout comme les marchands, des laissez-passer pour toutes les terres qui faisaient affaire avec lui. Et il y en avait beaucoup, de toutes races et de toutes ethnies ! Si malheur lui était arrivé, le monde allait en être ébranlé, peut-être même tremblerait-il, mais pour l'heure, nous ne pouvions rien faire d'autre que d'attendre et... pratiquer. Nous danserions et célébrerions le troisième pilier ce soir.

L'Einherjar n'était que peu atteint par l'absence de Lancastre. En revanche, il était profondément atteint par ma condition. Je ne ressentais rien de différent, mais la vérité était pourtant bien là et évidente : Rouge-gorge m'avait fait quelque chose. Le médecin n'avait rien trouvé. Les géants ne sentaient rien. Tout le monde était impuissant et nous ne pouvions qu'attendre. J'étais également certain qu'un autre élément pesait pour que le géant m'offre un tel visage tiré de mécontentement.

Cependant, il demeurait silencieux.

Lorsque nos pieds s'arrêtèrent, Lunya soupira lourdement. S'il était le général de la garde, il avait également vécu quelques années à Ranuria. Nul autre que lui n'aurait pu apprendre à l'Einherjar et Penthélisée la valse hemelienne. Et aussi exigeant l'était-il avec lui-même, il le fut pour nos deux invités également. À cause de l'état du souverain, il n'avait participé qu'une fois avant de prendre repos. Lunya dansait donc avec la promise de mon frère et... elle s'en sortait mieux que mon partenaire.

Il avait appris vite et s'en était bien sortis les autres jours, mais aujourd'hui, le lendemain de l'évènement, les choses étaient plus compliquées. Nos mains tombèrent doucement le long de nos corps et Einherjar, encore perdu dans ses pensées, ne leva pas le regard.

— Nous allons devoir commencer à nous apprêter. Lunya, il serait plus sage de reconduire Penthélisée dans ces quartiers. Je vais m'entretenir quelques instants à l'Einherjar avant d'en faire de même.

Le concerné fut dubitatif. « Laissez le prince et son promis ensemble ? » devait-il penser. Mais il accéda néanmoins à ma demande. Il m'informa que des gardes se trouvaient devant la porte au besoin et j'acquiesçai.

— J'ignorais que vous pouviez vous montrer si défaitiste. Aucun mal ne s'est montré et vous voilà, à deux doigts de soulever les océans pour l'inconnu.

Une petite lueur s'alluma dans son regard glacé et il le releva vers moi.

— Un mal s'est montré et d'une façon ou d'une autre, il vous a touché. Je suis resté impuissant, incapable de vous protéger.

BJÖRSARION - LA TERRE DES GÉANTS (BL)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant