Chapitre 20 - Voguer par delà l'horizon

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Arjen


Le premier souvenir que je possède a été celui de l'union de la terre et de l'océan. Je me demandais s'il en était de même pour les hommes, si eux aussi parvenaient à se rappeler de la première chose qu'il avait été en mesure de comprendre à leur plus jeune âge. J'étais certain de ne pas marcher encore à cette époque, car les bras de mon père me tenaient encore. Les pieds posaient au sol, je me souvenais des vibrations douces de la terre et de la chatouille des vagues qui vint à moi à cette époque.

L'eau avait été glacée, autant que le vent de Björsarion, mais elle m'avait accueilli en son sein. Son sel avait balayé mes lèvres et mon souffle, si fébrile, c'était coupé. Je n'avais pas pleuré ni cherché à m'enfouir, car les divinités ne voulaient pas de mal aux mortels. Asthan, puissance des mers, aimait ceux qui étaient destinés à aimer ses créations. On disait de la mer qu'elle était née de ses larmes pour ravir le monde d'une étendue que seuls ses enfants pourraient découvrir dans ses plus grandes profondeurs.

L'alliance des divinités avait fait que les enfants des uns et des autres s'étaient alliés et les divinités avec. Asthan adorait Argartha, la cité souterraine, et gardait l'île par de puissants maelströms ; une île qui portait les enfants chéries de Land, divinité terrestre. Lumenis, la cité de lune, était porteur des enfants de Máni, la divinité nocturne, et cette terre était gardait précieusement par Neru, puissance du vent. Et il en était de même pour tant d'autres, tels que Farù, la forteresse, porteur des enfants d'Eldr, puissance du feu et adorée par Heimr, divinité des créations.

Ces unions avaient créé tant de belles choses. Il était bon de voir Eldr prêter sa puissance à tout Ynrï pour les voir survivre. Il était bon de savoir que le sel d'Asthan permettait la survie de plusieurs peuples. Et même la puissance du vent, pourtant un être maudit, nous permettait de voguer. Et qui avait-il de plus fabuleux que de naviguer ? Me ramenant à mon premier souvenir, l'odeur des flots ravissait mon cœur. Le bruit des éclaboussures des vagues contre la coque procurait bonheur.

— Je n'ai jamais vogué bien loin. Mon règne est encore jeune. Ainsi, j'espère un jour pouvoir prendre la mer pour visiter les autres terres qui appartiennent aux hommes.

— N'est-ce pas les vôtres ? Rien ne vous empêche d'y aller dès lors, glissai-je au roi.

Dans un sourire qui semblait me confiait mon idiotie, il rétorqua :

— Détrompez-vous. J'ai tant de choses à faire à Hemel. Je ne peux guère me permettre de voyager, mais mon frère le pourra lui.

Nous nous tournâmes tous deux vers Adiel. Son rire claironnait, enchantant mes oreilles. Gunnar et Gudbrand lui tenaient compagnie.

— Et vous, Antiope ? Le voyage ne vous plait-il pas ?

— Nous voyageons sur les plaines de sable avec autant de plaisir que vous prenez à voyager sur les mers Einherjar. Nous n'avons pas besoin de voir du monde. Lemeh et Hemel sont tout ce dont nous avons besoin, nous, lemehiennes.

Je ne pouvais pas dire que c'était une pensée que je comprenais, mais j'imaginais qu'il ne cherchait à rien de chercher si nous avions déjà tout ce dont nous avions besoin. J'acquiesçai donc, le regard parcourant le moindre fait et geste d'Adiel. Toujours porteur de son voile, même le vent ne parvint pas à l'en dévêtir, ce qui fut bien frustrant. Le bleu de sa tenue rappelait celui de la vaste étendue qui nous entourait. Cela m'avait tenu tant à cœur de montrer au roi, à la reine et au prince ce que c'était de voguer sur le navire des géants.

À bord, ils étaient ridiculement petits, mais l'émerveillement dans leurs yeux me comblait. Pour Adiel, je ne pouvais que l'imaginer, mais il était demeuré de longues secondes immobiles à admirer le bateau. C'était si bon de le ravir de cette façon, de nourrir son besoin d'aventure et étancher sa soif de découverte ! Aussi, lorsque sa tête se tourna vers moi, je tendis la main. Il quitta les miens pour me rejoindre, glissant ses doigts si fins entre les miens.

BJÖRSARION - LA TERRE DES GÉANTS (BL)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant