Chapitre 38 - La terre des géants : Björsarion

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Adiel



Le bateau pénétrait dans la baie lorsque les premières voix s'élevèrent. Surplombant les tambours, ces dernières étaient rocailleuses et graves ; elles semblaient vibrer dans l'air lui-même et être transportées jusqu'à nous par le vent. La brise était forte et glaciale. Mes cheveux ne parvenaient pas à rester en place et de la neige venait se déposer sur mes cils. À Hemel, les hivers n'avaient jamais été aussi froids qu'ici. À Björsarion mon corps peinait à tenir.

Peut-être était-ce à cause du manteau sur mes épaules, semblant plus lourd que moi ; ou alors à cause de cette fin de voyage atroce que j'avais enduré. À force de vomir mes tripes et d'autres projetés ici et là par les flots, mon cœur n'en pouvait plus. La nausée peinait à passer et je me sentais proche de l'effondrement. Avec tout cela, j'ignorais si l'hiver d'ici était si terrible ou si c'était mon corps qui ne parvenait pas à se réguler.

Pourtant, en levant la tête vers Björsarion, la simple idée d'avoir pensé que je pouvais encaisser cet hiver me semblait ridicule. Les hautes montagnes enneigées étaient si gigantesques qu'elles disparaissaient dans les épais nuages gris et le ciel, c'était le cas de le dire : il était chargé. Dix vies n'auraient pas suffit à ce que toute la neige ou la pluie ne s'écoulent de lui. Mon corps frissonna à cette pensée, en plus de la température. Les géants avaient-ils déjà connu le soleil ?

— Regarder petit prince, c'est notre village.

Je suivis le doigt de Gunnar. « Village » était bien le terme. C'était particulièrement différent. Il n'y avait ni roche blanche et précieuse, ni silence, ni rien de ce que j'avais connu. Il s'agissait de maisons oblongues, vraisemblablement faites de bois de ce que je pouvais voir. Les toits étaient recouverts de peaux de bêtes épaisses d'où semblait dépassée... de la paille ? C'était rustique, simple, mais certaines maisons étaient gravées de runes métalliques dont j'ignorais la signification.

Je me sentais dépaysé, évidemment. Je m'y étais attendu et bien que l'angoisse me tordait les tripes restantes à la vue des géants qui attendaient impatiemment le retour de leur chef, je n'eus aucun regard pour le passé. Je ne me retournai pas et restai bien ancré sur ce qui se dessinait face à moi. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je compris que les voix fortes qui avaient résonné avec tant de force furent celles d'une seule personne.

J'avais pourtant été convaincu de l'inverse, mais... non. C'était une femme, vêtue différemment des autres géants. Elle était vieille ; son poids ployait sur elle-même et elle se maintenait avec un bâton magnifiquement taillée ; ses habits étaient nombreux. Des dizaines d'étoffes de tissus reposaient sur elle, semblant presque l'alourdir, et il en était de même pour les bijoux sur son crâne, entravant ainsi sa chevelure grisonnante. Les géants n'eurent guère besoin de me le dire que je la reconnus : elle devait être « Amma », l'aïeul des géants.

Soudain, le bateau trembla ; la voix cessa de « chanter » ; seuls les tambours persistèrent. Nous accostâmes au port et les géants s'occupèrent de débarquer. Mon regard croisa alors celui d'Egbert et dans son regard je vis qu'il me demandait comment j'allais, si je m'en sentais capable. J'avais une boule dans la gorge, mais je devais être prêt. Egbert m'avait appris les usages, alors je devais en être capable.

J'acquiesçai dans sa direction et il en fit de même avant de quitter le navire avec les premiers géants. Ceux-là prirent avec eux beaucoup de notre cargaison, comme ceux qui suivirent. J'attendis Sanjarna, comme le voulait la coutume, et Einherjar se joignit à moi. Sa main se posa sur mon épaule tandis que son doigt se leva pour écraser ma joue. Je lui adressai un sourire, rassuré par sa présence.

BJÖRSARION - LA TERRE DES GÉANTS (BL)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant