Arjen
Je retrouvai Adiel sur le pont. Le soleil venait de se réveiller, tout comme moi. Pourtant, le prince était déjà là, bien éveillé et vraisemblablement dans ses pensées. Je m'avançai doucement dans l'idée de l'enlacer, de le blottir dans le creux de mes bras et d'investir sa nuque de baiser. Je n'avais, avant lui, j'avais senti ce poids lourd d'un éveil en solitaire. Cependant, ce matin, ça avait été pesant de ne pas le retrouver proche de moi.
À mesure que mes pas silencieux me rapprochaient de lui, la posture de son corps se révéla. La légère courbure de ses épaules, comme si un poids y résidait désormais, me fit m'arrêter. S'était-il passé quelque chose ? Évidemment. Je n'eus plus aucun doute lorsque sa tête se tourna vers moi. Ses yeux d'ambres brillaient d'inquiétude et je n'attendis pas. J'effaçai la distance qui nous séparait pour envelopper son divin visage entre mes mains. Ses sourcils froncés et ses lèvres pincées parlaient pour lui.
— Elska, que vous arrive-t-il ?
Il secoua la tête tandis que ses doigts vinrent chercher les miens. Était-ce un des miens qui lui avait causé du tort ? Je regardai autour de moi, cherchant un coupable sur qui déposer ma colère, mais la faible voix d'Adiel m'alarma. Mon monde se réduisit à lui à nouveau et je plongeai, cœur et âme, dans ses confessions et son regard.
— Rouge-gorge était là.
Mon sang se glaça. Avait-il réellement... dit cela ? Mes paumes quittèrent ses douces joues pour aller investir son corps et enquêter. Était-il blessé ? Par toutes les divinités, j'espérais que ça n'était pas le cas ! Je ne pouvais pas le supporter. L'idée de le savoir sans défense face à ce sorcier me retournait l'estomac. Je n'oubliais rien de la brume sanglante qu'avait inhalé elska et je ne pouvais que m'inquiéter plus encore désormais.
— Aucun mal ne m'a été fait. Aucun mal extérieur, avoua-t-il.
Donc il y avait bien eu souffrance. Mon cœur frappait si fort contre ma cage thoracique qu'on aurait dit les tambours de chez moi : sourd et lourd, résonnant à des kilomètres à la ronde. Mon souffle... je le perdis. Je n'avais nulle confiance en Rouge-gorge. Il n'était pas juste un pirate, un être vivant digne des plus grandes cruautés, mais également un sorcier, dont les mots et les actes portaient les plus grands dangers. Et cela avait touché le prince.
— Arjen... Arjen...
Les frêles mains du prince vinrent se poser sur l'arrière de mon crâne. Lui-même sur la pointe des pieds pour réussir cet exploit, j'acceptai de me baisser plus encore. L'obéissant dans son ordre tacite, je vins appuyer mon front contre le sien. Sa souffrance ne concernait plus seulement ce qui lui avait été dit, mais bien mon état. Je compris à travers son regard que ma respiration n'en était plus une ; que mon palpitant l'apeurait tant il était rapide ; que mon torse qui s'élevait et s'abaissait l'alarmait.
— Arjen, calmez-vous.
Il m'embrassa. Ses lèvres tendres épousèrent ma joue et m'insufflèrent de l'air ; elles papillonnèrent contre ma tempe et réglementèrent mon cœur ; elles embrassèrent les miennes et m'offrirent le calme perdu jusque là. Je n'avais jamais aimé autant mon nom que par sa voix. J'avais l'intime conviction qu'il s'agissait là du murmure du monde, instillé en lui depuis le berceau. Il était ainsi devenu la parole de ma raison et plus précieuse encore : ma force.
— Nous devons avoir une discussion. Je refuse que la peur ou quiconque me domine à nouveau. Je veux être digne de vous, alors discutons. Arjen, je dois savoir ce qui m'attend à Björsarion.
J'acquiesçai. Je ressentais une profonde terreur de le lui révéler. J'aurais voulu attendre, comme je l'avais prévu, mais je ne pouvais guère si cela lui causait telle angoisse. Alors, j'enlaçai ses doigts des miens et le guidai dans notre quartier. Le pont n'allait pas tarder à s'agiter et je ne désirais pas être interrompu. Ça allait être pénible et je voulais le rassurer et le soutenir autant qu'il pouvait en avoir besoin.
VOUS LISEZ
BJÖRSARION - LA TERRE DES GÉANTS (BL)
FantasyLes géants ont bonne mémoire. Ils se souviennent toujours des vieilles convoitises de leurs ancêtres, de tous ceux qui les ont précédés. Alors lorsque leurs yeux se posent sur les jusquiames noires, joyaux de la couronne humaine, leurs vieux désirs...