Chapitre 26 - La troisième pilier : l'entente

253 35 18
                                    

Arjen


La danse des géants était loin des délicatesses de Hemel. Elle était faite pour que la terre tremble et résonne sous nos pas ; que ses séismes fassent jaillir la terre et agitent les océans pour les festivités. Je ne fus guère surpris par les visages désarçonnés des géants. Nous n'avions pas encore commencé, mais en place, Adiel, Ingvar et Penthélisée et moi-même étions dans une position des plus délicates ; une position qui trahissait mon... absence de délicatesse.

Les géants allaient bien se moquer et cela me fit sourire. Adiel ne pourrait pas les ensorceler cette fois, pas comme lorsqu'il avait dansé les pas des lemehiennes. Aujourd'hui, nous faisions honneur aux hommes. Des vêtements avaient été taillés et brodés en notre honneur. Les pauvres couturiers ne devaient plus avoir de mains après tant de travail en si peu de temps. Ils étaient efficaces ! J'étais vêtu de la même couleur sombre que les jusquiames qui décoraient la pièce et Adiel arborait une tenue aussi pure que les lys. Mais les broderies, fines arabesques brillante et précieuse, dont nous étions tous deux porteurs montraient les couleurs de l'autre.

Et malgré tout cela, malgré le bonheur évident qui aurait dû nous unir, quelque chose faisait de l'ombre. Plusieurs même. Le prince avait été touché par un mal inconnu ; Rouge-gorge était... absurdement familier pour les géants et moi ; Ingvar avait un teint livide ; et elska s'était muré dans le silence. Lorsque les instruments à vent et à corde firent résonner leurs mélodies, une ambiance des plus lugubres inondait la salle de bal.

Des murmures s'élevaient de part et d'autre de la salle. Des questions se posaient, s'éveillaient et échauffaient quelques esprits. Le roi n'avait pas l'air heureux et sa douleur fut confondue avec de la colère. Ce que dégageait le prince amusa ceux qui le convoitaient. Moqueurs, certains d'entre eux s'étaient mis à penser que le bonheur de leur convoitise ne pouvait guère se trouvait à mes côtés. Si cela ne m'énervait guère, autre chose le faisait : qu'ils puissent penser avoir leur place à ses côtés.

Perfides, rampants, rusés, ils n'étaient rien d'autre que des rats, des vautours prêts à se repaître de la chair qu'ils chassaient depuis si longtemps. Misérable et vorace, la noblesse hemelienne était dangereuse. Ingvar avait dit vrai. Il ne voyait pas Adiel comme un futur roi, mais comme une proie. Ça me hérissait la chair à y penser. Plus j'y portais attention, plus il me semblait entendre leurs pensées perverses et de ressentir leurs patiences éprouvées. Cinq, dix ans, qu'importait. Ils étaient prêts à attendre pour obtenir ce qu'il désirait : le trône, Adiel... Hemel.

— Einherjar, vos pas, murmura Adiel.

J'étais lourd. J'entraînai le prince dans mon inélégance, mais il m'était impossible de me concentrer sur autre chose que ses nobles. Les esprits des géants s'échauffaient avec le mien.

— Bien. Suivez-moi. Ne résistez plus. Regardez-moi. Imaginez les traits de mon visage.

Je clignai abusivement des yeux. L'imaginer ? Non. Mon esprit n'aurait jamais osé faire cela ! Mon corps, mon instinct, mon cœur et ma divinité me soufflaient qu'il serait impossible d'imaginer sa beauté. Je ne voulais pas lui faire déshonneur. Je n'y arrivais pas. Quand bien même sa voix douce me le commande, quand bien même ses yeux semblaient me brûler, je n'osais le faire. Son voile recouvrait solennellement son visage et il le portait si bien ; bien mieux que Penthélisée ou quiconque.

— Mère disait que ma peau avait la couleur du sable de chez elle, de chez Lemeh ; que mes yeux avaient la couleur et la profondeur des fonds marins ; que mon sourire portait la bénédiction de la divinité solaire. Père disait que cette dernière s'était penchée au-dessus de mon berceau et qu'elle m'appréciait davantage que la Terre.

BJÖRSARION - LA TERRE DES GÉANTS (BL)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant