Dans la cuisine du château le lendemain matin, tout le monde parlait déjà de la mauvaise nouvelle de la veille.
– Les pauvres, ils viennent de revenir au pays et la foudre leur est tombée dessus, s'apitoyait Dorothée tout en remuant les légumes qu'elle était en train de faire cuire pour le pot-au-feu que Madame de Coutais avait exigé.
– Ce qui m'inquiète surtout c'est le père Bavay. Il n'a plus toute l'énergie qu'il avait il y a quelques années, fit remarquer Pénélope qui pliait des draps dans la buanderie juste à côté.
– C'est vrai qu'il a pris un sacré coup de vieux, rajouta la cuisinière sans mâcher ses mots.
Son mari Lucien, assis sur le banc de la grande table en bois au milieu de la pièce, écoutait les deux femmes se répondre sans rien dire. Il venait de rentrer, trempé de la tête aux pieds après avoir désherbé la cour de la « gentilhommière » comme il aimait nommer le château. Sa femme Dorothée lui avait servi une infusion pour le réchauffer et il attendait patiemment qu'elle refroidisse pour ne pas se brûler à chaque gorgée. Il trempait discrètement ses lèvres de temps à autre pour attester de la température.
– Heureusement que le petit Isaac est là pour l'aider. Je ne sais pas ce qu'il ferait sans lui et sa vigueur, continua la femme de chambre. C'est bien que notre Annabelle continue de côtoyer un garçon aussi humble.
– C'est vrai que pour ce qui est de l'humilité, ce ne sont pas ses deux aristocrates de grands-parents qui lui serviront d'exemples.
Dorothée, qui parlait plus fort pour que son amie puisse l'entendre, se fit interpeller par Clovis, le majordome trentenaire qui connaissait son rang dans la hiérarchie domestique.
– Faites attention à ce que vous dites ma chère, les murs ont des oreilles. Et quelqu'un de malintentionné pourrait mal interpréter vos paroles et tout répéter aux patrons.
Sa seule présence déplaisait à Dorothée qui ne se cacha pas de lui donner le regard le plus dédaigneux possible. « Pour qui se prenait-il ? », pensait-t-elle à chaque fois qu'il entrait dans une pièce.
– Je disais donc que personne ne m'en voudra de garder le bouillon du pot-au-feu pour le rapporter aux Bavay ce soir. Le vieil homme doit être occupé et ce n'est certainement pas Isaac qui pourrait cuisiner quoi que ce soit. Madeleine doit vite reprendre des forces.
– Faites donc, c'est un geste très charitable, renchérit Clovis.
Pénélope fut enchantée par l'idée et se proposa de leur ramener avec Annabelle après le repas du soir. Même si elle devait parfois déplaire à sa jeune maîtresse, elle aimait pouvoir lui faire plaisir. L'emmener rendre visite à Isaac était une excellente initiative.
En classe, le même matin, Daniela était inconsolable. L'argent qu'Annabelle avait réussi à récolter pour elle et sa famille n'était pas suffisant. Le seul moyen pour eux de payer leur loyer était de se séparer de leur jeune âne. Ses parents avaient beau lui répéter qu'il serait une parfaite affaire pour eux, Daniela ne pouvait mettre de côté l'affection qu'elle portait à l'animal. L'ayant vu naître quelques années en arrière, elle s'était attaché à lui et son cœur se brisait à l'annonce de sa mise en vente. Annabelle essayait de la consoler. Décidément, un jour ne passait sans qu'elle porte son aide à ses amis. Elle devait leur rendre la pareille pour toutes les fois où elle avait été à leur place et qu'ils avaient été les premiers à courir à son secours.
– Peut-être que quelqu'un du village, pas très loin, sera ravie de l'adopter.
Elle secoua négativement la tête.
– Monsieur Ogier serait intéressé pour sa sœur qui habite à Guérande. Sa famille aurait besoin d'une « bourrique supplémentaire pour transporter le sel », Daniela imitait-elle le paysan par pure rancœur. Il viendra demain matin pour voir Yvan. Tu sais « Yvan », parce qu'un âne fait « iii ahn », se fit-elle pleurer de plus belle.
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Annabelle de Coutais
Fiksi SejarahAnnabelle, jeune villageoise française de 12 ans est élevée par ses parents dans un village de campagne. A l'été 1879, quand ses parents décèdent brutalement, Annabelle se retrouve à vivre une vie bourgeoise pleine de nouvelles règles dans le Châtea...