Après que Gus soit revenu le lendemain pour lui donner le premier ouvrage, qui n'était autre que Roméo et Juliette, ou les amants maudits les plus célèbres de la littérature, les deux jeunes gens décidèrent de se donner rendez-vous toutes les deux semaines pour procéder à l'échange. Jeudi après-midi fut le jour qui leur convenait le mieux. Alors un jeudi sur deux, pendant plusieurs mois, Annabelle faisait en sorte de s'infiltrer discrètement au sous-sol et dans le pire des cas, de trouver une raison de s'y faire envoyer. Tous les soirs, après le repas, son livre n'attendait plus qu'elle, cachée sous un coin de mon matelas où elle priait pour qu'on ne le trouve pas. Après l'extinction des feux, elle attendait que tout le monde s'endorme pour allumer sa lampe à huile de sorte à ce que la lumière ne projette pas trop, au risque de révéler son activité interdite.
Au bout de plusieurs livres et de nombreuses heures de lectures sombres qui écourtaient son sommeil, elle sentait ses yeux fatiguer de plus en plus et s'accompagner de migraines qui ne voulaient plus la quitter.
Cela valut à Annabelle une ribambelle de coups de règles sur la main pour s'être endormie pendant la classe, raclée qui ne déplaisait pas aux amies de Bertille qui prenaient un plaisir presque trop intense à la voir se faire corriger. Sa capacité de concentration baissant au fil des jours, elle décida de rallonger l'échange d'une semaine, prenant également en compte que moins Gus n'avait à emprunter de livres, moins il avait de chance de se faire prendre la main dans le sac et donc de compromettre tous leurs efforts.
Cette paranoïa commença à résonner à travers tout son corps. Elle devenait de plus en plus crispée, persuadée que des yeux mal intentionnés l'observaient. Il fallait qu'elle prenne de plus en plus de précautions.
– Je peux savoir ce que vous fabriquer Mademoiselle Brisson ?
Annabelle, perdue dans ses pensées, son âme ayant probablement quitté son corps un moment où elle aurait dû être attentive, releva la tête sur une Sœur Albertine à bout de nerfs.
– Comment cela se fait-il que vous êtes la seule à ne pas écouter mon cours, alors que toutes vos camarades vous montrent le bon exemple depuis le premier jour ?
Non seulement Annabelle n'avait pas le droit de répondre mais en plus, elle resta la tête rentrée dans ses épaules, ne sachant pas comment se défendre. " Quel jour est-on aujourd'hui ? ", pensa-t-elle à ce même instant. Au loin, elle perçut la date du jour inscrit à la craie blanche sur la tableau noir : Jeudi 21 Novembre. Elle avait finalement bien fait de s'être fait gronder. Mais à la seconde où elle trouva enfin quoi dire, une voix délicate, quelques rangs derrière elle, interrompit les sermons de la vieille dame.
– Il faut avouer que ce n'est guère intéressant. Je peine à garder les yeux ouverts.
Offensée par cette remarque, la religieuse tourna lentement et dangereusement en direction de Suzanne, qui se cachait derrière ses longs cheveux blonds.
– Vous prenez exemple sur Mademoiselle Brisson à ce que je vois. Ce n'est pas votre habitude de participer en classe. Seulement, la première fois, faite le pour dire quelque chose qui m'intéresse. Votre insolence vous vaudra un petit détour par le cachot.
En escortant la douce fillette en dehors de la classe, une dernière phrase résonna de sa grosse voix : " Et que je ne vous y reprenne plus. "
Annabelle n'en revenait pas. Suzanne venait de se rebeller pour lui épargner un nouveau séjour en détention. Malheureusement, que dira Suzanne quand elle verra Gus attendant Annabelle de l'autre côté du bâtiment ? Elle enfouit son visage rempli de désespoir dans ses mains moites. Pour la première fois, ses manigances ne s'étaient pas passées comme elle l'avait envisagé.
Après avoir retourné la situation mainte et mainte fois durant toute la fin d'après-midi, Annabelle ne pouvait compter que deux possibilités : la première serait que Suzanne soit bien tombée sur Gus et qu'il lui ait tout raconté. Bien qu'elle semblait inoffensive, cela faisait trop peu de temps qu'elles se connaissaient et Annabelle ne pouvait s'empêcher de se méfier. La deuxième, et c'était celle qu'elle préférait largement, serait que Gus ne se soit pas fait voir et qu'il ait le bon esprit de revenir un autre jour.
VOUS LISEZ
Annabelle de Coutais
HistoryczneAnnabelle, jeune villageoise française de 12 ans est élevée par ses parents dans un village de campagne. A l'été 1879, quand ses parents décèdent brutalement, Annabelle se retrouve à vivre une vie bourgeoise pleine de nouvelles règles dans le Châtea...