Chapitre 26 : Premiers pas dans le monde

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Annabelle contempla son reflet dans le miroir de sa coiffeuse ; Ses épais cheveux châtains avaient été relevés et mis en un chignon imposant qui lui serrait fortement le crâne. Sa tante avait insisté auprès de leur femme de chambre pour que sa coiffure soit parfaite. Annabelle avait enfin l'âge de porter ses cheveux attachés. Mais elle n'était pas très satisfaite du résultat, complexant à l'idée que l'on puisse mieux discerner les traits de sa mâchoire, qu'elle avait toujours trouvé trop gonflée à son goût. Elle devrait toutefois s'y accommoder. Devenir une femme n'était hélas pas sans compromis. Ce qui la dérangeait le plus, c'était le corset qu'il lui avait été imposé de porter et qui complétait la panoplie désagréable des atouts féminins. Elle vérifia une dernière fois que l'arrière de sa robe tombe bien sur ses jambes, que le nœud de sa ceinture, qui marquait sa taille, soit assez serré. En bref, rien ne devait compromettre cette soirée. Elle doutait encore à propos du choix de la couleur de sa robe ; elle ne portait que très rarement du vert, encore moins couleur pomme. Elle aimait néanmoins les motifs blancs et fleuris que la couturière avait choisi de mettre sur ses manches longues presque transparentes. Cela lui rappelait sa campagne natale, à laquelle elle se refusait si souvent de penser.

Son cœur battait un peu trop fort dans sa poitrine et son estomac faisait des bonds incessants. Bertille avait fait une telle bonne impression lors de son bal l'hiver dernier, que faire ne serait-ce qu'un faux pas n'était même pas considéré comme une option. Debout, dans la salle bondée, Annabelle cherchait désespérément Suzanne du regard. Plus le temps passait et plus elle se faisait des mourons. " Et si ses parents avaient décidé de la garder avec eux ? La reverrais-je un jour ? ". Annabelle ne pouvait pas - et surtout ne voulait pas – survivre dans ce monde sans son amie. Nicolas et Clothilde restaient près d'elle, la présentant à quelques personnes qu'ils reconnurent dans la foule. Pour Nicolas de Coutais, ce rassemblement était l'occasion de flatter son égo en faisant entendre à tout le monde qu'il était en train de connaître une ascension dans l'échelle sociale grâce à son nouveau poste promu. Cependant, la quantité d'invités dans la pièce rendait sa nièce mal à l'aise, et lui faisait regretter instantanément ses dernières soirées à s'occuper des jumeaux. De nombreuses jeunes filles de l'âge d'Annabelle avaient été invitées et toutes étaient plus belles et sophistiquées les unes des autres. C'était à se demander si elles avaient été réunies pour se pavaner et se vendre. Ou plutôt, comme le pensait sincèrement Annabelle, si elles avaient été poussées dans la fosse aux serpents pour définir leur destinée. Dans les deux cas, Annabelle ne pouvait se sentir que traquée. Il y avait un nombre conséquent de jeunes hommes à marier qui dévisageaient la moindre figure féminine qui attirait leur regard. À part Gus avec qui elle s'était liée d'amitié - et depuis qu'elle avait été mise dans une école où étudiaient exclusivement des filles - Annabelle n'avait pu réellement côtoyer la gente masculine.

Perdue dans ses pensées, elle secoua la tête discrètement, pour se remettre les idées en place. Elle avait malencontreusement perdu la trace des membres de sa famille. Pour ne pas s'éloigner davantage, elle jugea qu'il valait mieux rester près de la latte de parquet légèrement cabossée, en guise de repère.

Seulement, quelques minutes à peine après s'être répétée " Mais bon sang que fait-elle ? ", la foule l'entraîna en arrière et tout le monde vint laisser un énorme espace au centre du grand salon. Quelques couples entrèrent sur la piste. Les pas des différentes jeunes filles parcouraient le sol ciré, et leur robe, flottant avec légèreté, donnait l'impression qu'elles avaient dansé toute leur vie. Tandis qu'Annabelle, de son côté, essayait de remémorer ce qu'on lui avait enseigné. Sa tante aurait eut mieux fait d'engager un professeur de danse, car tout se mélangeait dans l'esprit de la jeune débutante.

Une bonne demi-heure - qui parut une journée entière - passa finalement. Jouant timidement avec les plis de sa robe verte, Annabelle attendait qu'on vienne l'inviter. Presque toutes les débutantes avaient trouvé leur cavalier. Presque toutes ; Sauf elle, évidemment. Et le peu d'estime qu'elle avait pour elle-même disparaissait petit à petit. Quand soudain, en tournant la tête, elle se rendit compte qu'un garçon était en train de la fixer. Annabelle en avait lu des romans, remplis de scènes de bal où les deux héros tombent follement amoureux dès leur première danse. L'étranger en face d'elle, qui mesurait au moins deux têtes de plus qu'elle, n'avait pas l'air de vouloir l'inviter lui non plus. Il n'était pas vraiment à son goût, mais il aurait été mieux que rien. Alors pour ne pas subir ses contacts visuels incommodes, Annabelle détourna le regard et continua à admirer - ou plutôt à envier - les danseurs. Mais quand, par curiosité, elle voulut vérifier s'il regardait toujours dans sa direction, elle s'aperçut qu'il s'était transplané et se dirigeait maintenant vers elle avec une étrange détermination. Il se faufila parmi les gens et se posta finalement à quelques centimètres sur sa droite. Voyant qu'elle ne réagit pas, il s'éclaircit la voix. C'était très courageux de sa part mais Annabelle avait changé d'avis, elle ne danserait pas avec lui. Elle ne tarda pas à le lui faire comprendre.

Annabelle de CoutaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant