Chapitre 39 : Manigances

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Parce qu'elle ne pouvait pas avoir l'air distante, Annabelle ne put qu'accepter quand Suzanne la supplia de dormir chez elle, dans la maison des Jacquemins. En particulier Paul, qui devait ne pas être alerté, sous peine de voir ses ambitions réduites à néants. Sa sœur, ne s'étant pas aperçue d'un changement de comportement chez son amie, restait extatique à l'idée de devenir sa belle-sœur. Elle n'avait décidément que cette pensée en tête.

– Tu es toujours aussi impatiente !, s'amusait Annabelle, en essayant de dissimuler son amertume.

Suzanne, assise en tailleur sur le lit à côté d'elle, rebondissait, comme une enfant à qui on venait d'offrir un poney.

– Je n'y peux rien, ma joie est indescriptible, s'expliqua Suzanne en démêlant sa longue chevelure dorée munie d'une brosse en bois.

Cependant, bien que divertit par son amie, Annabelle n'avait pas oublié sa mission première : atteindre le couloir des domestiques, puis entrer dans la chambre de Gus sans être vue. Mais le moment semblait idéal : tout le monde était dans son coin à se reposer après le copieux dîner et les serviteurs étaient à leur poste, à mettre de l'ordre dans le foyer. Par bonheur, Paul n'avait pas assisté au dîner et était resté cloîtré dans son bureau. Son valet lui avait apporté un plateau et il y avait mangé seul. Alors Annabelle prétexta aller chercher un verre d'eau dans la cuisine. Suzanne avait insisté pour appeler sa femme de chambre mais son invitée refusa, ne voulant déranger quiconque. Suzanne avait toujours admiré sa bonté et la facilité qu'elle avait d'être si autonome.

Voyant que la voie était libre, Annabelle vola jusqu'à la chambre de son ami le cocher. Elle toqua à sa porte, pressée. Gus ouvrit la porte et n'eut pas le temps de réagir qu'Annabelle l'avait déjà poussé à l'intérieur et refermé délicatement derrière eux. Elle posa son oreille sur la porte, espérant que personne ne l'ait suivie. Et quand elle fût certaine qu'ils soient sans danger, elle souffla tout l'air que contenait ses poumons, soulagée.

– Je ne suis jamais venue ici, est-ce bien clair ?, chuchota Annabelle d'un ton menaçant, qu'il n'avait jamais observé depuis le jour de leur rencontre.

Les murs étaient fins et Annabelle redoutait que quelqu'un ne surprenne leur échange. Et Gus, surpris par son comportement et son ton directif, acquiesça sans poser de question.

– J'ai besoin que tu me rendes un service Gus. Dans deux jours, je dois prendre le train, tôt dans la matinée. J'aimerai que tu ailles chercher mon ami Isaac à cette adresse. (Elle lui confia le papier que lui avait donné Isaac deux jours avant.) Vous me rejoindrez devant le grand portail, je monterai à mon tour dans la voiture et tu nous conduiras à la gare.

– Mais où vas-tu ? Que nous caches-tu ?

Annabelle le coupa tout de suite pour qu'il ne pose pas plus de questions :

– Je ne peux rien te dire pour l'instant. Moins tu en sauras, mieux tu te porteras. Je ne peux pas rester, il faut que j'aille retrouver Suzanne sinon elle va se douter de quelque chose.

– En parlant de Mademoiselle Suzanne, ajouta Gus. Je n'ai pas eu le temps de te remercier pour... merci, je te dois la vie. Et mon emploi.

– Suis mes instructions et ta dette sera payée, dit Annabelle, un sourire en coin.

Ni une ni deux, telle une espionne digne d'un polar, la jeune fille s'éclipsa aussi précautionneusement qu'à l'aller. Elle n'oublia pas de faire un détour par la cuisine, demanda un verre d'eau à la cuisinière et repartit à l'étage. Quand elle regagna la chambre de Suzanne sur la pointe des pieds, la jeune maîtresse de maison s'étonna du temps qu'elle avait pris.

– La cuisinière est très bavarde...

– Bavarde ? Je ne pense pas que...

Annabelle posa son verre et enjamba la pièce jusqu'à sa camarade. Comme elle ne savait pas comment lui annoncer sans la heurter, elle décida d'être directe, comme elle l'avait été avec Gus.

Annabelle de CoutaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant