Isaac et Annabelle s'étaient senties bien ridicules dans la classe de Madame Cluzet avec les plus petits. Ils avaient passé le reste de la journée au fond de la pièce en essayant de retenir leurs gloussements. Les yeux inquisiteurs des jeunes élèves apparaissaient par vagues et tous se demandaient la raison de leur présence. Annabelle aurait dû se sentir coupable d'avoir interagit d'une telle manière avec un adulte mais c'était le cadet de ses soucis. Elle était fière d'avoir tenu tête à Monsieur Loiseau car cela avait été pour la bonne cause. Elle n'aurait pas pu voir Isaac se faire punir injustement de la sorte. Monsieur Loiseau, du haut de sa trentaine d'années, était un homme barbare, sans cœur et rien ne lui aurait fait changer d'avis. Être instruit ne faisait hélas pas tout.
Quand le son de la cloche retentit, tout le monde sortit avec empressement. Sauf les deux amis qui restèrent silencieux.
– Je ne t'ai pas remercié pour toute à l'heure, lui dit-il subtilement alors que la maîtresse effaçait le tableau.
Si Annabelle avait pu répondre, elle lui aurait dit qu'il n'avait pas à s'en faire et qu'elle était fervente défenseuse d'injustices. Mais elle avait assez parlé aujourd'hui, on ne pouvait pas trop lui en demander. Alors à la place, elle sourit, hocha la tête et se leva de son siège. A peine eut-elle posé un pied sur le perron que Daniela l'étreint brutalement.
– Tu m'as fichu une peur bleue ! Ne refais plus jamais ça ! C'est la dernière fois qu'elle se mettra dans le pétrin pour tes beaux yeux, compris ?, s'attaqua-t-elle à Isaac à l'instant où il franchit la porte. Celui-ci se mit à rire et répondit :
– Promis. La prochaine fois, ça sera le contraire, je lui en dois une belle.
Il s'en alla sans prononcer un mot de plus. Son air rieur resta dans l'air encore un instant et pinça le cœur d'Annabelle. Elle aurait voulu qu'il ne la quitte jamais.
Daniela lui tendit son panier qu'elle avait laissé en classe, enroula son bras sous le sien et la fit sortir de sa rêverie.
– Quelle mouche t'as piqué ?, lui demanda son amie sur un ton inquiet quand elles furent enfin seules dans la forêt, marchant côte à côte dans la neige, dont elles partageaient un amour inconditionnel. Aucune réponse orale de la part de son interlocutrice. Elle n'eut le droit qu'à un haussement d'épaules qui n'était pas assez clair.
– Ne me dis quand même pas qu'après ton discours d'indignation en classe tu ne parles encore plus ?
Annabelle s'apprêtait à exprimer son désarroi, et aurait voulu que le ciel fasse tomber des excuses sur Daniela plutôt que de la neige, mais elle se figea. Des silhouettes familières sortirent instantanément des buissons derrière elles et les firent sursauter.
– Que fais-tu ici Philémon ?, Daniela interrogea-t-elle son frère. Papa t'attends sûrement pour couper le bois.
– Pourquoi n'irais-tu pas le faire toi-même et aider ton bon vieux ?, Edgar répondit à sa place comme s'il décidait de tout ce qu'il se passait dans son petit monde, ce qui agaça vite « boucles noires ».
– Chacun ses tâches, se défendit-elle du dédain que portait Edgar à leur égard.
– Qu'est devenu ton fameux « les filles peuvent tout faire aussi bien que les garçons » alors ?
– Je ne peux pas tout faire, c'est aussi simple que cela. Et puis, cela vous ferait bien trop plaisir, bande de fainéants.
Edgar, le plus imposant des trois ours, souffla du nez en levant les yeux au ciel.
– Et toi Annabête, qu'en penses-tu ? Maintenant que tu as retrouvé ta langue. Dommage, moi qui pensait qu'elle ne te servirait plus à rien, j'aurais cru plus utile de la couper, à ta place.
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Annabelle de Coutais
Ficción históricaAnnabelle, jeune villageoise française de 12 ans est élevée par ses parents dans un village de campagne. A l'été 1879, quand ses parents décèdent brutalement, Annabelle se retrouve à vivre une vie bourgeoise pleine de nouvelles règles dans le Châtea...