𝑀𝑢𝑟𝑑𝑒𝑟(𝘩)𝑒𝑟 〕 𝑡𝑎𝑒𝑔𝑔𝑢𝑘

𝗖𝗵𝗮𝗽𝗶𝘁𝗿𝗲 𝟭 🀲

Angleterre, Liverpool, 1982

Jungkook

« Elle est morte. »

Le sang crée des formes difformes sur le latex qui recouvre et protège mes doigts. Je les observe un instant, perdu dans leur contemplation.

Si je penche la tête de trente-cinq degrés vers la droite, on dirait qu'un éléphant s'y dessine. Ou bien est-ce une patate ?

Je plisse les yeux, au moment où le bruit sourd et caractéristique de l'électrocardiogramme métallique accompagne mes pensées. Il me tire de mes estampes enfantines, malgré son aspect usé.

Rouillé par les rouages du temps, il tient encore le coup.

Comme moi.

Je reste pourtant de marbre, le regard figé sur le foie ouvert que je viens de manipuler, écartelé en éventail à l'intérieur du corps de cette femme.

Ça pourrait presque être artistique, si la scène qui s'est jouée il y a quelques minutes n'était pas aussi dramatique.

Sans domicile fixe, cette femme venait de temps en temps pour certaines visites médicales obligatoires. Je l'ai aperçu dans son dossier, que le secrétaire m'a permis de consulter juste avant de l'opérer, pour voir ses antécédants médicaux.

Elle n'avait pas de famille.

La seule qu'elle n'ait jamais eue et qui lui procurait un minimum de réconfort, était l'alcool.

Qui avait fini par l'achever. À moins que ça ne soit les coups qu'on lui avait portés au visage, et qui l'avaient défigurée.

Elle était encore couverte de sang, méconnaissable. Je n'avais pas eu le temps de la nettoyer au vu de l'urgence de l'opération.

« Jungkook, tu devrais aller te nettoyer. Je vais la recoudre. »

Le bruit du chariot contenant tous les outils dont nous nous servons pour nos opérations déraille sur le sol et résonne bruyamment entre les quatre murs du bloc opératoire.

Les ustensiles en métal s'entrechoquent à cause des joints non bouchés du carrelage, dans lesquels les roues peinent à rouler.

Parce que oui, je suis chirurgien. Je ne me suis pas encore reconverti en psychopathe tueur à gages, bien qu'il paraît que ça paie bien.

Je devrais peut-être y songer.

« Ne t'inquiète pas Emma, je peux le faire. »

Ma voix au timbre clair sort d'entre mes lèvres avec douceur, malgré le spectacle macabre qui se peint sous mes iris.

Je me force à me ressaisir, et relève le regard vers ma principale assistante opératoire prostrée face à moi.

Les mains autour de la barre d'acier du chariot, elle observe avec curiosité les organes exposés à l'air libre de la pauvre femme éventrée, et pousse un léger cri de joie en pointant du doigt quelque chose que je n'aperçois pas.

« Tu as vu son intestin ? Il est énorme ! Je n'en ai jamais vu de semblable ! »

Son intérêt bondissant pour chacune des opérations que nous effectuons me plaît beaucoup, ce qui en a fait l'une des principales raisons pour que je l'engage, d'ailleurs.

Évidemment, la mort de cette femme n'était pas la première, et ne sera pas la dernière. J'en ai vu des pires, des plus douloureuses, des plus écœurantes, des plus infectes.

J'en ai même fait un classement dans mon esprit.

En plus d'un an de pratique, j'ai de quoi faire.

Emma se joint parfois à moi lorsque nous nettoyons et stérilisons les outils dont nous nous sommes servis, et c'est quelque chose qui, malgré l'horreur de la situation, nous divertit.