𝗖𝗵𝗮𝗽𝗶𝘁𝗿𝗲 𝟯𝟰 🀴 🀵

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Taehyung


« Mes chaussures s'appellent revient. »

Je m'en veux à l'instant même où ses paroles franchissent mes lèvres, et que le regard abattu de Jungkook percute le mien.

Malgré tout, je reste bien droit dans l'entrée de notre chambre, les pieds humides, le visage neutre, les traits acerbes, et la bouche formant une seule ligne antipathique.

Mes yeux, par leur forme légèrement plissée modèlent une férocité et une médisance que je croyais avoir perdu depuis des semaines.

Il est là, le docteur Kim du début. Il vient de remonter à la surface, comme s'il n'était jamais parti.

J'ai eu beau le camoufler derrière des rires euphoriques, des sourires timides -mais pas moins sincères- ainsi que derrière la volupté et l'extase que m'apportent les souvenirs créés avec Jungkook, il est toujours là.

Et je le comprends à la seconde même où Jungkook me jette un regard mi choqué, mi abrupt.

Il tente de garder la face, les épaules redressées, le menton relevé, mais finit par abandonner en se laissant tomber sur le matelas près duquel il avait commencé à retirer mes chaussures.

« Tiens, si tu les veux tant ! »

Les gestes brusques, il les arrache de ses pieds en se mordant les lèvres pour refouler un cri de douleur, et me les balance avec une force que je ne lui connaissais pas.

« Hé ! Tu sais combien elle m'ont coût... »

Mais ma plainte meurt sur le bout de ma langue quand stupéfait, je me contorsionne pour réceptionner la première chaussure.

Même si j'ai vu son bras se lever, puis partir en arrière pour prendre de l'élan, je ne le pensais pas sérieux. Ni autant déterminé à vouloir m'en envoyer une en plein dans la tête.

« Jungkook !

— Taehyung ! m'imite-t-il en prenant une voix criarde, bien trop aigüe comparé à la tonalité qui s'échappe de mes cordes vocales. »

Je fronce alors les sourcils, de plus en plus énervé quant au comportement dont il fait preuve.

« Arrête de faire l'enfant ! j'exige en le voyant rouler des yeux vers le ciel la seconde qui suit.

— Redis ça devant un miroir, contre-t-il en attrapant la seconde chaussure qu'il soupèse dans sa paume pour mesurer la force avec laquelle il va la propulser.

— Ça suffit, arrête ! Je suis désolé d'avoir foutu le plan en l'air, mais je commence sérieusement à en avoir marre de faire du sur place ! j'explose enfin en tendant mes bras vers le ciel, excédé et à bout de toute cette affaire qui ne mène nulle part. Je veux arrêter. J'en peux plus, j'arrête. J'abandonne. »

Je me résigne enfin à lui dire ce qui me pèse sur le cœur depuis plusieurs jours. Je le fais dans un murmure, mais Jungkook m'a très bien compris, vu les yeux estomaqués qu'il me renvoie.

« Quoi ? »

Son air interloqué résonne sourdement à mes oreilles. Mes tympans se couvrent de légers acouphènes, au gré de l'agacement qui vibre de plus en plus fort sous ma peau.

Je vais exploser. Ou imploser.

Mais ni l'un ni l'autre ne sera une partie de plaisir.

« Quoi, "quoi" ? je réplique durement, le ton acéré. Je n'ai pas le droit d'arrêter ?

— Non tu n'as pas le droit ! s'exclame-t-il dans un rire jaune, comme si je n'avais pas d'autre choix que de l'écouter. »

Son regard se fait plus serré, plus ferme. Il s'ancre au mien et me pousse dans des retranchements que je n'aurais jamais voulu atteindre en sa présence.

« Pour qui tu te prends, Jungkook ? Un justicier ? Tu ne sauveras personne, et toute cette histoire ne mène à rien à part remuer la poussière et les os des morts ! je crie à mon tour en faisant un pas menaçant dans sa direction. T'es juste qu'un gamin en manque d'attention, qui s'accroche à tout et n'importe quoi pour avoir un semblant de renommé ! »

J'ai beau garder une stature intangible, la force dont je viens d'user pour lui cracher ses mots à la figure me troue le cœur comme une passoire.

Je les regrette à l'instant même où je les ai prononcés.

Mais le silence nous enveloppe, toujours plus proéminent, plus écrasant. La honte commence à s'insinuer en moi pour entacher mes sentiments, mais je n'ose pas m'excuser.

J'ai dépassé les bornes. Franchis le précipice qui me permettait de rester digne.

« Toute cette histoire ne mène à rien ? »

Jungkook ébauche finalement un sourire peint d'une tristesse dont je viens tout juste d'habiller son âme.

Il reste debout au centre de la pièce, les bras ballants. La main qui tient ma seconde chaussure retombe mollement contre sa cuisse, jusqu'à ce que le cuir de la semelle vienne heurter le sol quand il la lâche.

Je n'ai aucune réaction, pas un regard, pas un battement de cil, envers cet objet qui me tient à cœur. Du moins, c'est ce que je croyais.

Parce qu'il y en a un autre qui suscite bien plus de réaction en moi, et pour moins que ça. Et celui-là, plus jamais je ne le quitterais des yeux.

« Pourtant, c'est grâce à elle qu'on s'est rencontré. »

Jungkook chuchote, un sourire effacé au coin de la bouche. Son murmure n'est qu'écho douloureux et frissons abyssales.

Il m'admire profondément, sans ébaucher le moindre geste, puisque oui, il m'admire.

Il ne me regarde pas simplement, non. Ses yeux traversent la sensibilité des miens, et viennent sonder mon âme qu'il se plaît à écorcher de ses longs cils graciles, jusqu'à m'en faire monter les larmes aux yeux.

Jamais encore quelqu'un ne m'a regardé ainsi. Jamais quelqu'un ne m'a offert autant de tendresse d'un simple coup d'œil.

Mais là en est toute la complexité. Les orbes captivants de Jungkook n'ont rien de simple.

Et je le comprends un peu plus lorsqu'il rompt le contact visuel pour disparaître dans la salle de bain, me laissant seul avec pour toute compagnie les perles salées qui me brûlent les yeux, et le poids de ma culpabilité. 


(comme ce chapitre est court, il y en aura un autre jeudi soir ! 🥰)

𝑀𝑢𝑟𝑑𝑒𝑟(𝘩)𝑒𝑟  〕  𝑡𝑎𝑒𝑔𝑔𝑢𝑘Où les histoires vivent. Découvrez maintenant