Chapitre 2

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EDOUARD
Douvres, quelques jours plus tôt...

Le corne du bateau retentit, indiquant que je vais devoir y monter si je ne veux pas rester à quai. Le cœur lourd, mais léger en même temps — cela est une drôle de sensation — je regarde en direction de ma petite sœur, Anabeth, qui a les yeux rougis.

— Êtes-vous réellement obligé ? m'interroge-t-elle, des trémolos dans la voix.
— Oui, Anabeth, je le dois. Vous savez que je ne peux pas aller contre la volonté de Père.
— Mais en France ? Cela est si loin...

Je prends son visage entre mes mains et la regarde dans les yeux.

— Ne vous inquiétez pas, Anabeth, je reviens vite.
— Oui, cela je le sais, mais vous savez que je ne peux pas être séparé de vous très longtemps.
— Pour moi aussi, cela va être de la torture.
— Alors pourquoi ne m'emmenez-vous pas avec vous ?
— Anabeth... soupiré-je en passant une main à l'arrière de mon crâne. Je vous en supplie, ne rendez pas les choses plus difficiles. Je vous promets que je vais tout faire pour que Louis XIV autorise votre venue, ainsi, nous serons de nouveau réunis. Et puis vous n'êtes pas toute seule, il y a aussi Henry qui vit avec vous, ainsi que Mère.
— Oui, mais ce n'est pas pareil sans vous, Edouard, et vous le savez très bien. Henry... lui et moi n'avons pas la même relation que nous deux.

Henry a dix-sept ans et disons que... Il est difficile à gérer. C'est un peu le vilain petit canard de la famille. C'est mon petit frère, je l'aime, le défendrai et le protègerai toujours, au même titre qu'Anabeth, mais lui et moi n'avons pas les mêmes rapports que ceux que j'entretiens avec ma petite sœur, qui a vingt ans. Étant le plus âgé, de la fratrie et Père ayant été obligé de s'absenter pendant quelque temps, j'ai pris ce rôle figure protectrice pour Anabeth et Henry, en complément de celui de Mère.

— Il n'a même pas été fichu de venir vous dire au revoir, peste-t-elle.
— Anabeth, vous savez très bien qu'il devait veiller sur notre mère souffrante.
— Oui, mais...

Pour la faire taire, je lui glisse un baiser sur le front en retenant mes larmes. Quitter mon pays est dure, mais c'est encore plus difficile de m'éloigner d'elle. Malheureusement, je n'ai pas le choix.

— Je ne comprends toujours pas pourquoi je ne peux pas venir directement avec vous... marmonne-t-elle.
— Nous avons déjà eu cette discussion : le Roi n'a indiqué que ma présence au souverain français, débarquer à deux pourrait provoquer un raz de marée. J'y vais seul pour tester la température et dès que je sens que vous serez parfaitement en sécurité, je vous fais venir.

Elle acquiesce, la tête basse et alors que je la lui remonte, j'essuie ses larmes. Quelques secondes plus tard, un second coup de cornes retentit.

— Cette fois-ci, il faut vraiment que j'y aille, lui annoncé-je.

Je lui glisse un dernier baiser sur le front puis me retourne et monte dans le bateau qui va m'amener en France et alors que le navire quitte le quai, je fixe mon regard sur ma soeur, lui faisant signe, mais quand je la vois tomber à genoux lorsque le bateau s'éloigne, mon coeur saigne et je me dois de puiser tout au fond de moi pour ne pas sauter et la rejoindre.
Ma petite sœur et moi avons toujours été très fusionnels. Il faut dire que le rapprochement de nos âges, seulement deux ans nous séparent, est un atout. Elle a toujours pris soin de moi quand je n'étais pas au maximum de ma forme et elle a toujours pu compter sur moi pendant les coups durs. Avec ce voyage, cela sera la première fois que nous allons être séparés si longtemps, mais comme je le lui ai promis, je vais tout faire pour qu'elle me rejoigne rapidement.
Le bateau assez loin pour que je ne distingue plus la terre, je quitte la proue et entre dans les entrailles du navire pour me reposer car je sais qu'une fois arrivé à Dunkerque et monter dans le carrosse qui m'emmènera à Versailles, je ne pourrai pas dormir convenablement.
Sur la couchette, je passe mon bras sur mon front en soupirant et en pensant déjà à l'Angleterre et à ma sœur. J'espère qu'elle s'en sortira malgré mon départ, je sais qu'elle a beaucoup du mal a trouvé ses repères quand je ne suis pas là, elle n'est à l'aise réellement que lorsque je suis à ses côtés. La plupart du temps, elle est renfermée et il est vrai qu'elle se dispute souvent avec Henry, ils ont des comportements diamétralement opposés, mais j'ose tout de même espérer que Mère fera tout pour qu'elle oublie notre séparation et qu'elle parvienne à la faire sourire. Je sais d'avance que je ne pourrai pas résister à rentrer si j'apprends dans l'une des lettres que nous échangerons qu'elle n'est pas en forme, car je ne pourrai pas sans cesse faire des allers-retours, le voyage est déjà suffisamment long. Quant à Henry... j'espère qu'il ne rendra pas la vie de tout le monde impossible.
Malgré cela, il me tarde d'arriver en France et de connaître la vie à la cour de ce Roi puissant qu'est Louis XIV. Une vie que je n'ai jamais connu car malgré la proximité des relations entre Père et le Roi, que ce soit Charles II, ou bien son successeur, Jacques II, Mère n'a jamais voulu que mon frère, ma sœur et moi vivions si près de pouvoir. Ce pourquoi nous vivons encore avec elle dans notre résidence londonienne.

Vices à Versailles - S'aimer est interdit tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant