ALL UNDEAD | Caput Mortum [Terminé]

Prologue

Il descendit du camion et se dirigea vers le keitora, garé à côté. Il fouilla la boite à gant pour en extirper la carte routière. Il devait consulter l'itinéraire pour se rendre à Hiramamachi mais surtout pour localiser l'ancienne exploitation d'Onojima-sama avant le Notarejinisuru. Yukiko fendit dans sa direction après le départ d'Asami et Ayako pour aller chercher les filles.

—Quand tu t'es rendu au Sanctuaire de Kashimahama, savais-tu que tu allais acheter un être humain ?

—Je l'ai découvert seulement sur place après avoir versé notre collecte auprès du sanctuaire.

Yukiko semblait ébranler.

—Tu as tout de même participé aux enchères.

—Je n'y ai pas participé.

—Parce que notre versement n'était pas assez élevé pour en avoir le droit. Si ça avait été le cas, aurais-tu acheté une uegakari ? Aurais-tu acheté Reicheru-san ?

Noritaka se contenta de la fixer, l'air sombre. Contrairement à ce que Reicheru avait affirmé à l'onsen, il ne l'aurait pas abandonné dans cette pharmacie. Il connaissait la qualité de son travail. Sans hésiter, entre une uegakari dont il ignorait les véritables talents et Reicheru, il aurait acheté Reicheru lors de l'enchère d'autant plus qu'Onojima ne s'était pas non plus ruiné lors de la vente.

Yukiko ravala un sanglot.

—Je vous ai entendu l'autre nuit. Vous avez couché ensemble et le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'a apparemment pas apprécié.

Noritaka soupira d'exaspération. Il avait été un peu trop enthousiaste et l'un de ses coups de reins lui avait fait mal. Il ne l'avait pas violé pour autant.

—Je n'ai pas forcé son consentement, l'assura-t-il, gêné d'évoquer cet aspect de sa vie intime.

Il n'aurait jamais dû faire l'amour avec Reicheru en sachant que ses Fukuokajin dormaient de l'autre côté des portes fusama. Il voulait seulement profiter de ce moment d'intimité avec Reicheru et indiquer à Ayako que le divorce était consommé et qu'il était passé à autre chose. Lors du nomikai, il n'avait pas couché avec elle seulement à cause de l'alcool mais par attirance pour elle. Il l'avait fait boire pour la détendre et faciliter le contact. L'expérience avait été un franc succès puisqu'elle avait plaisanté avec eux. Leur nuit ensemble avait été un bonus auquel il n'avait attendu aucun retour, malgré son espoir de conclure. Adachi avait conseillé à Yasujirō de se masturber avant de coucher avec Yukiko pour prolonger le plaisir car une femme insatisfaite était impossible à séduire. Noritaka s'était soulagé pour offrir une nuit exquise à Reicheru.

Le visage de Yukiko se crispa.

—En clair, le sanctuaire a mis en place une traite des blanches avec le concours des agriculteurs locaux. Le kannushi Oshino devrait être relevé de ses fonctions. Il salit la réputation de ce sanctuaire et jette l'opprobre sur le nom de la déesse Inari.

Noritaka souligna au feutre rouge leur itinéraire.

—Le kannushi Oshino n'a jamais étudié les préceptes du shintoïsme. Il travaillait dans une concession de vente de voitures à Kashima. Plusieurs postes publicitaires passaient en boucle à la télévision plusieurs mois avant le Notajinisuru.

Yukiko parut abasourdie.

—Le véritable kannushi du Sanctuaire de Kashimahama est devenu un ryūketsu. Il erre dans les bois sacrés. D'après ce que j'ai compris, la miko Toshiko a élaboré le concept de la vente aux enchères afin d'obtenir un ravitaillement constant sans devoir cultiver eux-mêmes.

—Elle est une femme... Comment a-t-elle pu cautionner une telle chose ?

—Elle le cautionne parce qu'elle ne se sent pas concernée par ce trafic. De tout temps, les japonais ont fermé les yeux sur beaucoup de choses. Il y a aucune raison que ce trait de caractère change surtout après le Notajirisuru.

—Où vas-tu ?

—Inspecter les alentours de Hiramamachi. Reicheru-san connaît bien le coin.

—Dans ton état ? Un type t'a assommé. Et lui ? s'enquit-elle en désignant Ig d'un mouvement du chef.

Ce dernier demeurait assis, ligoté dans un coin du conteneur.

—S'il veut s'en aller, qu'il parte. S'il veut rester, il devra se procurer à manger seul. Nous n'avons pas assez de nourriture pour recueillir les chiens errants.

—Il cherche Reicheru-san, insista Yukiko.

Ig parvint à se redresser.

—Je n'ai pas l'intention de la ramener à Edenbridge, si c'est ça qui vous inquiète. Lloyd est un gros connard. Il s'est bien passé de nous dire que Rachel était sur place.

—Son mari ? s'enquit Noritaka.

—Parti depuis deux ans et demi pour faire Dieu sait quoi. Un beau jour, il est parti, laissant femme et enfant derrière lui pour vaquer à ses affaires de militaire.

—Son fils ?

—Junior est toujours en vie. Son vœu le plus cher est de revoir sa mère.

Noritaka pesa le pour et le contre. Il n'avait pas anticipé l'éventualité que Reicheru ait pu avoir eu un enfant en dehors de son nourrisson. Qui aurait cru que ce fils né d'un premier lit viendrait au Japon pour des vacances en famille surprise durant les négociations avec le Groupe Sakamoto !

—Quel âge a son fils ?

—L'âge con. J'espère qu'il se calmera quand il la verra.

Noritaka n'appréciait pas le fait que le fils du mari de Reicheru puisse perturber ses plans. Plusieurs de ses collègues lui avaient avoué les difficultés qu'ils rencontraient à la maison avec des enfants nés d'un premier lit durant l'adolescence. Certains s'étaient débrouillés pour envoyer lesdits enfants chez les grands-parents maternels, d'autres les avaient chassés de la maison sans que la mère ne s'y oppose de sorte d'avoir la paix. La plupart endure difficilement la situation.

Yukiko lui déconseilla de le libérer et les autres Fukuokajin étaient du même avis. Noritaka se rangeait à leur avis. Il ne pouvait pas se permettre d'accorder sa confiance à un parfait inconnu qui en savait plus sur Reicheru que lui.

—J'ai visité bien des endroits à travers le Japon au fil des années. Hiramamachi fait partie de ceux-là. Comme vous le savez, Rachel a effectué ses stages de BEPA là-bas.

Ainsi le village n'avait aucun secret pour Reicheru. Il serait compliqué pour lui de la retrouver si elle ne le souhaitait pas.

—Alors détachez-moi et laissez-moi vous accompagner.

D'un signe de la tête, il indiqua à Bonzō de le libérer.