Chapitre huit

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BLACK


Une gamine haute comme trois pommes court sans regarder devant elle, jusqu'au moment où elle nous aperçoit. Ses grands yeux bicolores s'écarquillent - l'un est vert, l'autre marron - puis elle se fige comme une statue. Luca pousse un long soupir et s'avance d'un pas, mais elle recule. Il lève ses mains en signe de reddition afin de ne pas l'effrayer. Elle n'a pas plus de cinq ans, elle apparaît microscopique avec ses deux couettes rousses.

— Tout va bien, tu n'as pas à t'inquiéter, lui assure-t-il avec tendresse, ce qui n'a pas l'air de vraiment la convaincre.

— Vous la connaissez ?

— Ouais, soupir Luca. On ne sait pas comment elle s'y prend, mais elle parvient à s'échapper du Heaven régulièrement.

Le sol se dérobe sous mes pieds.

Je fixe cette enfant innocente et me plonge dans ses prunelles atypiques qui reflètent une peur viscérale que je ne peux que comprendre. Mon cœur se met à battre plus fort tandis que j'essuie mes mains devenues moites sur les pans de ma robe.

— C'est l'une des victimes des Reapers, murmuré-je, la boule au ventre.

Luca hoche la tête et cherche à nouveau de s'approcher d'elle, mais elle recule derechef malgré sa tétanie. Je pose ma paume sur son épaule afin de l'arrêter.

— Je peux essayer ?

— Elle n'accepte personne à part Isée.

Ce prénom. Je contracte les mâchoires en réorientant mon attention sur la petite fille. Il faut que je me calme, il est important qu'elle se sente en sécurité.

— Comment est-ce qu'elle s'appelle ?

— On ne sait pas, elle n'a pas articulé un mot en deux ans et refuse ceux que nous lui avons proposés.

Bon sang... Ces rats de Reapers nous réduisent à de simples numéros. Ils nous dépossèdent de notre identité jusqu'à ce que nous devenions des pantins de chair et de sang.

Je n'essaye pas de m'approcher et me mets à genoux sous le regard interrogatif de Luca. Il ne dit rien, me laisse faire, oscillant entre elle et moi. La petite fille braque ses billes bicolores apeurées dans ma direction tandis que je lui souris.

— Je m'appelle Eden, est-ce que tu acceptes d'être mon amie ?

La phrase sert uniquement à dissimuler mon geste.

J'incline le menton et pose une main sur mon cœur avant de la retourner vers elle afin de lui offrir ma paume. La petite écarquille les yeux, ils s'emplissent de gouttes épaisses et, l'instant d'après, elle me fonce dessus en courant. Je la réceptionne et la serre contre moi en lui murmurant des mots doux. Elle fond en larmes, s'agrippe à moi comme un bébé koala.

— Je suis là, tout va bien, lui assuré-je en étreignant son minuscule corps sanglotant dans mes bras.

J'espérais sincèrement que ce geste demeure universel chez les enfants des Reapers.

Bordel, je l'ai souhaité de tout mon cœur ! Il est utilisé par les plus vieux adolescents, c'est un signe de protection, d'amitié. Seuls ceux qui se trouvent être dignes de confiance le connaissent, ainsi que les tout-petits, qui finissent par l'enterrer après leur formatage. J'avais une chance sur deux pour que ça marche.

— Comment est-ce que tu as fait ça ? s'étonne Luca, oubliant complètement son vouvoiement au passage.

— J'ai toujours eu une bonne fibre avec les enfants.

Requiem [Dark Romance] | SPIN-OFF CRESCENDOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant