Chapitre quatorze

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LUCA

— Ma mère aurait pu y passer, Luca !

Je frotte nerveusement mes paupières avant de boire cul sec le second verre de liquide ambré.

Kieran me rabâche les oreilles depuis au moins une demi-heure. Je n'ai même pas eu le temps de monter voir ma sœur. À peine ai-je franchi le seuil de la résidence des Whyte pour ramener Ivy qu'il m'a littéralement sauté au cou et j'ai bien cru qu'il allait m'en coller une. Je l'aurais sans doute mérité.

Mon meilleur ami demeure dans une colère noire, il ne cesse de faire les cent pas dans le salon tandis que je me suis affalé dans l'un des fauteuils.

Je fixe une photo de nous, où Isée est entre nous deux et sourit de toutes ses dents. Elle apparaît heureuse. Je ne l'ai pas revue esquisser un seul véritable sourire depuis la perte de notre père.

— Les Hell's ont réussi à abattre tous les prisonniers qui se sont échappés avant qu'ils n'aient pu foutre le feu à la ville, ce qui est une putain de chance !

— Mes hommes sont parfaitement entraînés et savent pister des crétins. Lâche-moi, Kieran.

Il claque sa langue contre son palais et me foudroie de ses prunelles grises. Je soutiens sans mal son regard noir, lui en rétorquant un à la hauteur. Nous nous affrontons silencieusement jusqu'à ce qu'il siffle avec animosité :

— La petite comédie à laquelle tu joues avec cette femme ne m'amuse pas, il faut que ça cesse.

— Je ne joue pas. Arrête de faire ton connard moralisateur, je maîtrise parfaitement la situation.

Enfin, je crois.... Non. En réalité, je suis perplexe quant à la manière dont je dois m'occuper d'elle, et cela me consume lentement mais sûrement.

— Il s'agit de Black, Luca ! vocifère-t-il, tendu. On ne parle pas d'une touriste quelconque, mais d'un prédateur entraîné. Dan lui a bourré le crâne d'inepties, elle a fait de nous ses ennemis, ses proies. Sans l'intervention de Ice, ma mère serait morte, bordel ! Comment est-ce qu'elle va réagir lorsque tu lui annonceras que Silas est décédé, hein ? Crois-tu qu'elle va se laisser aller à ses émotions et te permettre de l'enlacer tendrement, tandis que tu lui susurres des paroles réconfortantes ? Nous ne sommes pas dans un roman à l'eau de rose, mon frère.

Tu serais de toute manière refusé en maison d'édition, enfoiré.

Son ton acerbe me fait serrer les dents, pourtant, cette perspective ne me déplait pas tant que ça. Je hausse les épaules nonchalamment, ce qui le fait jurer dans sa barbe de quelques jours. Kieran fourrage ses cheveux d'ébène et pousse un long soupir las.

— N'importe quelle autre personne résiderait déjà six pieds sous terre. Pourquoi est-ce que tu la protèges ?

— Parce que c'est de ma faute, putain ! Je... Eden est mon fardeau. Je ne la protège pas, je l'assume.

— Les exactions de Ian et de Clara ne sont pas de ton fait !

La douleur qui traverse ses traits en prononçant le prénom de sa petite sœur m'atteint avec force. Il détourne le regard en serrant les mâchoires, accablé par le poids de la culpabilité.

Clara Whyte et Kélanie sont une seule et unique personne.

Il estime que c'est de sa faute si Clara est devenue ce monstre, alors que c'est Ian qu'il faut blâmer. C'est lui qui se trouve à l'origine de tous nos tourments. Kieran s'en veut pour de nombreuses choses, partagé entre la joie d'avoir tenu Isée dans ses bras alors qu'elle venait de naître et le fait qu'on ait enlevé sa sœur dans la même soirée. Il n'avait que sept ans. Comment aurait-il pu deviner que sa gouvernante allait s'en prendre à une enfant de trois ans ? Tout est de la faute de Ian.

Requiem [Dark Romance] | SPIN-OFF CRESCENDOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant