PARTIE II - ACTE IV

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Scène 1
Haut de Seine
Appartement de Jordan Bardella

« Allez-y, faites-nous un cours d'économie monsieur le premier ministre aux milles milliards d'euros de dette »

« Je vais vous répondre, je vais vous répondre... mais vous ne répondez-pas monsieur Bardella»

« Ce n'est pas du niveau du premier ministre de la France d'avoir des arguments qui sont aussi sous la ceinture »

« Monsieur Bardella, vous proposez des mesures sans queue ni tête, partagées par personne en Europe... » « Votre programme c'est un Banco »

Jordan avait ri. Un rire franc mais douloureux. Cela faisait plusieurs jours qu'il se repassait en boucle les débats qu'il avait mené avec Gabriel. Comme s'il lui fallait trouver quelque chose, retrouver quelque chose qu'il lui aurait échappé.

Le dernier débat public entre les deux hommes avaient été un fiasco, au point d'être mis au repos forcé. Jordan s'étiolait, sans que personne ne puisse rien y faire. Pourtant il n'était pas du genre à s'apitoyer sur son sort. Il s'était toujours relevé de tout. Il avait donc décidé de traiter le mal par le mal. De revenir à l'origine.

Le président du rassemblement cherchait où ça avait commencé. A quel moment précis son regard avait dévié. A quel moment au juste, son cœur l'avait trahi.
Comme il
était incapable de faire le tri en lui, il avait pensé que peut-être se revoir en interview l'aiderait dans son jeu de piste. Mais la méthode était violente. Par ce que Gabriel lui faisait face et lui souriait, d'une effronterie jamais égalée.

« La double frontière vous ne voulez vraiment pas y venir, monsieur Bardella ? »
« Je vais y venir, monsieur Attal . »

Jordan mis sur pause. Le sourire que lui avait fait Gabriel à cet instant précis le blessa particulièrement. Depuis combien de temps au juste ne lui avait-il plus sourit de cette façon. Depuis combien de temps ses regards ne l'avaient pas accueilli plutôt que pourfendu. Si le débat pour les élections européennes avait laissé des traces dans les esprits, dans le sien c'était comme un feu qui le consumait .

Une douleur lui saisit l'abdomen. Un semblant de palpitation. Entre le manque de sommeil et les cafés à répétitions son état se dégradait. Il était plutôt sportif pourtant. Mais ça aussi, il n'y arrivait plus. S'entrainer pour se maintenir. S'entrainer pour donner l'illusion. S'entrainer pour mentir à tous, lui le premier. Le costume commençait à peser lourd, alors qu'il n'avait pourtant encore rien vécu.

L'homme soupira, la tête penchée en arrière et le regard fixé sur le plafond. La pièce était d'un silence assourdissant. Il songea au temps où son appartement était si petit qu'on pouvait entendre siffler le frigo jusque dans sa chambre. Aujourd'hui c'est à peine si la vie circulait.

Le vacillement des images de son écran d'ordinateur lui fit tourner la tête. Ce n'était qu'un générique de plus. Une nouvelle émission qui commençait. Il se vit, en costume bleu, impeccablement coiffé et le sourire brillant. Le jeune brun fit la moue. Il avait toujours autant de mal à s'observer lui-même. Parmi toutes les leçons qu'il lui avait fallu apprendre, celle de se juger avait été la pire.

Machinalement, son regard tomba sur ses jambes. En jogging et débardeur noir, il ne ressemblait pas à grand-chose. Sa barbe avait commencé à repousser, ses cheveux s'articulaient dans tous les sens. Et il devait très probablement puer. Cette idée le fit pouffer à nouveau. On était loin de l'image lisse et aseptisée que le monde lui demandait d'avoir.

Le monde. Qu'il tentait d'oublier depuis trois jours. Et qui n'avait jamais semblé aussi petit et précis qu'en cet instant même, quand sur l'écran à led le visage de l'ombre qu'il tentait de fuir apparut, le regard sur et le sourire assuré.

#ELECTIONS_SOUS_EDITSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant