PARTIE II - ACTE V

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Scène 1
Hauts-de-Seine
Appartement de Jordan Bardella
Salon
21h50

C'est toujours frustrant un retour à la réalité. C'est comme émerger d'une longue nuit de sommeil sans rêves ni cauchemars, juste avant la sonnerie du réveil. Avant le danger de la perturbation. Avant que le cerveau n'envoie le warning. Avant cet instant inconscient du choix à faire quand on réalise enfin ce qui est sur le point d'arriver. Se précipiter pour annuler l'instant fatidique ou laisser sonner jusqu'à briser la bulle.

Après leur étreinte tendre, les deux hommes s'étaient reculés légèrement. Ils s'étaient souri mais n'avaient pas vraiment su quoi faire. Jordan, parce qu'il ne savait pas vraiment encore; Gabriel parce qu'il savait bien trop.

D'un même geste ils s'étaient avancés au centre de la pièce pour occuper leur esprit. Jordan avait proposé de partager une bière. Gabriel avait accepté sans même entendre la question.

Puis ils s'étaient assis sur le canapé, l'un à côté de l'autre, faisant face à leur propre image qui circulait sur le petit ordinateur qui n'avait jamais cessé d'émettre.

-   J'arrive plus à les regarder, dit Jordan en fixant l'écran.
-   
Quoi donc ?
-   Nos débats.
-   Pourquoi ça ?
-   Parce que j'y vois trop de choses maintenant. Et que je n'arrive plus à savoir ce qui est vrai de ce qui ne l'est pas. C'est juste dingue en y pensant.

Gabriel observa un temps le plus jeune. Il était perdu, ça se voyait à des kilomètres. Et l'homme ne sut pas vraiment quoi en penser. Il n'oubliait pas ce que Jordan lui avait déjà confié à propos de tout ça. L'engouement. L'attachement. Les édits. Peut-être était-il encore pris dans un tourment qu'il ne comprenait simplement pas. Et peut-être qu'un retour à la réalité allait se faire sous peu, lui faisant réaliser que tout ça n'avait aucun sens pour lui. Après tout il était jeune. Peut-être pas suffisamment expérimenté. Quand vous êtes un politique, toute votre vie ne tourne qu'autour de ça. Alors peut-être que la seule raison à leur rapprochement venait de là. Une occupation de temps imparti, dans un univers qui n'en laissait aucun.

Le trentenaire fut pris d'une terreur sourde en réalisant qu'il pourrait s'y blesser. Bien plus profondément encore que ce qu'il avait déjà vécu par le passé. Tellement de points les séparaient, qu'il était impossible de ne pas en tenir compte.

Leurs orientations les opposaient clairement. Qu'elles soient politiques, sexuelles ou morales, rien ne pouvait changer ce fait. Ajouter à ça une différence d'âge et vous obteniez le tiercé gagnant. Ce fait, particulièrement, troublait l'ancien ministre qui en subissait déjà le contre coup depuis un long moment. Il ne savait pourquoi cela le bloquait autant. Peut-être parce que Jordan lui même avait appuyé ce fait  un jour au cours d'une émission de télévision. Le "quand même sept ans"  était resté à la première ligne de sa check-list personnelle. Et il n'en était jamais parti. 

En générale, la vie publique et politique lui avait pris beaucoup, même en y étant préparé. Il connaissait le prix à payer mais Jordan peut-être pas tout à fait.

L'homme châtain fut tiré de sa réflexion par une main qui venait d'enlacer la sienne avec douceur.

-   Gabriel ? Est-ce que ça va ?

Cette attention l'attrista autant qu'elle le rempli d'un bonheur qu'il ne pouvait plus nier.

-    O-oui ça va.
-   Tu... m'en veux ?
-   Pourquoi je t'en voudrais ?
-   De casser quelque chose peut-être ? Ou de créer quelque chose dont tu ne voulais pas ?

#ELECTIONS_SOUS_EDITSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant