Après plusieurs tournants, Eira parvint sur une route menant au château. Les pavés de la voie principale se muèrent bientôt en marches taillées à même la roche. La reine fut vite en nage, mais elle se contenta d'essuyer son front du revers de la main et continua son chemin.
Enfin, elle parvint au sommet. Elle put admirer les délicates colonnes d'un blanc d'albâtre ciselées d'arabesques et les gravures sur les murs, représentant la Guerre des Sept Îles. Des chevaliers en armure pourfendaient leurs ennemis, rappel de la tragédie qui a eu lieu avant le traité de paix et la création de la Confédération d'Izaro.
La reine s'approcha de la grande ouverture qui faisait office de porte, traversant le pont-levis qui était baissé. Des douves s'étalaient en-dessous. Pourtant, Eira réalisa avec surprise que la fosse ne cachait ni précipice, ni eaux infestées de monstres. Un simple champ de lavande s'épanouissait au milieu des herbes aromatiques.
‒ Hé, que vient-tu faire là, étrangère ? s'écria un garde en jetant un regard soupçonneux sur ses hardes.
‒ Je viens pour demander une audience à la présidente, déclara Eira avec assurance.
‒ La présidente ne reçoit pas les vagabonds, répondit l'homme.
Elle ne chercha même pas à nier.
‒ Dans ce cas, pourriez-vous lui envoyer un message ?
‒ Je viens de dire que la présidente ne reçoit pas les mendiants ! A présent, libérez le passage !
‒ Mais...
Le garde fit un pas en avant, la main sur son arme.
‒ Libérez le passage ! Sinon...
‒ Arrêtez ! cria une voix aiguë. Laissez-la entrer.
Le soldat se retourna vivement, et s'inclina devant une petite femme qui sortait de l'enceinte de l'Ailani. Elle portait une longue robe fluide brodée d'or. Le vêtement était aussi immaculé que les murs du château, et ressemblait quelque peu à une toge. Ses longs cheveux d'un blond doré flottaient derrière elle comme une apparition. Ils étaient retenus par une fine chaîne qui s'enroulait autour de sa belle chevelure, de son long cou, et de sa taille gracile. Elle devait avoir un peu moins d'une vingtaine d'années en âge humain.
Eira la reconnut instantanément. Elle était encore plus sublime que sur son portrait officiel.
Il s'agissait de Lady Alverna Lysander.
La reine fit la révérence à son tour.
‒ Lady Alverna, quelle joie de vous rencontrer !
La présidente s'avança, tout sourire, et prit son bras.
‒ Le plaisir est partagé, dit-elle. Et bienvenue en Trivok. Venez, allons faire quelques pas.
Elles pénétrèrent dans le château en bavardant avec familiarité à la grande surprise du garde. Les deux jeunes femmes s'assirent sur un banc de pierre dans un cloître, où s'étendait un petit jardin aux fleurs et plantes exotiques.
‒ Comment se fait-il que vous soyez sans escorte ? demanda enfin Lady Alverna. Où se trouve Messire Doraj ? Cela fait un petit moment que je n'ai plus de nouvelles de lui. Je lui ai envoyé un Elezaap, mais je n'ai reçu aucune réponse.
Eira resta silencieuse un moment, puis déclara d'un ton ombragé par le chagrin :
‒ Le navire a fait naufrage lors d'une tempête dans le triangle de la Malice. Je crois être l'une des seules à avoir survécu.
Elle se souvient alors que le Deuxième Chance avait hissé le drapeau des îles du sud pour passer inaperçu au port.
‒ Une... corvette marchande m'a repêchée, mon amie et moi.
‒ Mais alors..., avança la présidente. Messire Doraj... Messire Kapano... Et même votre fiancé... Aspen, c'est bien ça ? Ils ont tous péri...
‒ C'est fort possible, murmura Eira, mélancolique.
‒ Vous disiez qu'une de vos amies avait été tirée des flots ? Où est-elle ?
‒ Elle est restée sur l'embarcation. Nous n'avons pas voulu la déplacer, car elle est atteinte du mal vert.
Lady Alverna hocha doucement la tête.
‒ J'enverrais une équipe médicale la quérir, affirma-t-elle.
Elle marqua une pause.
‒ Enfin, parlons de votre exil forcé. Sachez que je ne cautionne absolument pas les actes de la Matriarche de Bylur. Cette femme abuse de son pouvoir. Vous êtes la seule reine légitime, contrairement aux pantins qui ont été mis en place.
‒ Comment cela ? s'enquit la reine.
‒ Oh, c'est vrai, vous n'êtes peut-être même pas au courant. Votre cousin, l'archiduc de Reginn, ayant refusé le trône, il est revenu à son frère, le duc Dorian. Il s'est fiancé à une femme de la noblesse du nom de Lady Dolion.
Eira sursauta. Lady Dolion et le duc convoitaient donc la couronne de Bylur ? Non, impossible. Le duc l'avait protégée des gardes. Lady Dolion lui était fidèle. Ils devaient sans doute faire profil bas devant la Matriarche avant qu'elle ne reconquît son royaume.
‒ Pourriez-vous considérer une alliance entre le royaume de Bylur et la république de Trivok ? Nous pourrions discuter d'accords commerciaux et militaires si vous me fournissez une aide pour que je reprenne mon trône.
‒ Eh bien, je suis favorable à une entente, mais il faut encore j'en discute avec les ministres. Quant à reprendre votre trône, j'ai rassemblé en secret une petite équipe qui vous permettra d'apprendre à maîtriser vos pouvoirs. Je suis certaine qu'ils pourraient être vitaux dans la guerre qui se prépare.
‒ Vous... désirez que j'apprenne à maîtriser mes pouvoirs ?
La reine n'en revenait pas. Qui serait à même de lui enseigner comment maîtriser sa magie ? En Trivok, les mages n'étaient ni traqués ni éliminés. Cependant, ils vivaient la plupart du temps cachés, dans la peur de devenir des parias. Elle songea aux jumeaux Calida et Majira, qui possédaient eux aussi des pouvoirs. Est-ce possible que la présidente ait trouvé d'autres personnes qui aient un don ?
‒ Je devine votre surprise, dit la jeune femme aux cheveux dorés avec un petit sourire qui illumina son visage. N'ayez crainte, tout se passera bien.
‒ Mais vous ne comprenez pas ! s'emporta la souveraine. La magie est maléfique, dangereuse, incontrôlable ! Il n'augure jamais rien de bon des sortilèges !
Elle revit le corps du matelot dénommé Kai, qu'ils avaient jeté à l'eau après avoir murmuré des prières pour que son âme rejoigne les dieux.
‒ Je refuse d'utiliser mes pouvoirs ! Non, trouvons une autre solution.
Le sourire de Lady Alverna ne flancha pas.
‒ Suivez-moi, j'ai quelqu'un à vous présenter.
Elle se leva et Eira l'imita à contrecœur. Elle faisait confiance à son amie, qui devait sûrement avoir un plan en tête. Les deux femmes traversèrent plusieurs couloirs décorés sobrement, mais avec goût, pour se diriger dans une partie moins fréquentée du château. Lady Alverna s'engagea sur les marches d'un escalier en colimaçon. Ses sandales ne faisaient aucun bruit sur la pierre blanche et seul le bruit du vent résonnait dans la petite tour. Le bas de sa robe flottait derrière elle comme une apparition fantomatique. Enfin, elles arrivèrent devant les battants d'une lourde porte en bois à l'aspect vieilli.
La présidente se saisit du heurtoir de fer et toqua trois coups. Puis, elle poussa un des vantaux et pénétra à l'intérieur. La reine lui emboîta le pas, pleine d'appréhension.
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Frozen Tears
FantasyLaissez-vous emporter par une réécriture de la reine des neiges dans la cour des Fey ! Dans le royaume gelé de Bylur, où la magie est interdite, les Fey règnent en maître. Froids et cruels, ils constituent la haute classe et dominent les humains. E...