Chapitre 10 : Vérité

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Eira s'éloigna du buffet, exaspérée. Elle était lasse de son rôle de souveraine pleine d'assurance. Tout ceci n'était qu'un masque qu'elle rêvait de jeter à terre pour dévoiler son véritable visage. Mais elle ne le pouvait pas.

Elle devait se contenir, et éviter de laisser ses émotions l'emporter. Sinon, elle risquerait de révéler ses pouvoirs à la cour toute entière.

Elle ne supportait pas non plus tous ces yeux qui la scrutaient, qui guettaient le moindre faux pas de sa part. Elle avait l'impression non pas d'être la souveraine du royaume gelé, mais un morceau de viande sur un étal.

Et puis, rien ne se déroulait comme prévu. Tout d'abord, elle avait rencontré le vicomte de Sigrun. Par erreur, peut-être par oubli, elle lui avait demandé comment allait son père, avant de se souvenir qu'elle avait reçu un communiqué lui informant qu'il était mort quelques jours plus tôt. Pourquoi alors son fils lui avait-il menti ? Elle ne l'avait pas vu depuis longtemps, et il semblait bien changé.

C'est pourquoi elle lui avait fait cette proposition de mariage. Pour savoir ce qu'il venait réellement faire au bal. Mais aussi, la jeune femme savait qu'elle devait créer une alliance afin de renforcer sa puissance, et de ne pas perdre son trône. C'était inévitable. Elle ne se marierait jamais par amour.

Et elle aimait cet accent provincial marqué et ce regard froid qu'avait le vicomte. Il semblait cacher de nombreux secrets, et elle était prête à tout pour les découvrir.

La reine glissa sa main sur sa robe, et grimaça en sentant le nectar coller à ses doigts. Elle n'avait pas le temps de se changer, elle ne pouvait quitter la réception ainsi. De plus, sa suivante était plongée dans une discussion avec une autre femme, et elle ne voulait pas les déranger.

Perdue dans ses pensées, elle buta contre un homme vêtu d'une charmante redingote bleu nuit brodée d'étoiles dorées. Elle le reconnut : c'était le duc de Reginn, un éminent seigneur local. Elle fit un pas en arrière, et trébucha sur le bas de sa robe. Le duc la rattrapa de justesse.

‒ Votre Majesté, il semblerait que vous soyez tombée sous mon charme.

Eira laissa échapper un petit rire nerveux. Sans lui laisser le temps de s'excuser, il la mena au centre de la piste de danse.

Soudain, Eira sentit un poids sur sa poitrine, comme si elle était oppressée. Elle lâcha la main du duc.

‒ Vous allez bien ? lui demanda-t-il, inquiet.

Le monde semblait tourner autour d'elle en un tourbillon de couleur et de paillettes. Elle chercha quelque chose pour se raccrocher à la réalité, n'importe quoi. N'en trouvant pas, elle s'accroupit sur le sol en marbre, son visage caché entre ses mains. Elle avait l'impression d'être le centre de l'attention. La jeune femme se mit à trembler tandis qu'un attroupement se formait autour d'elle. Le claquement des talons sur le sol, le froufrou des robes, les voix étouffées des invités, le tintement des verres, tout cela résonnait dans sa tête et lui donnait un mal de crâne terrible.

Elle se tordait les mains, priant pour ses pouvoirs ne lui échappent pas. Ses gants étaient devenus de plus en plus froids.

‒ Écartez-vous ! s'écria le duc. Je crois que la reine a du mal à respirer.

Tirant un couteau de sa poche, il trancha les rubans du corset d'Eira et l'arracha de sa poitrine, révélant un linge de corps blanc. Ensuite, il retira son manteau et en recouvrit les épaules de la souveraine.

‒ Merci..., balbutia Eira.

La foule s'écarta, laissant passer Lady Dolion, affolée.

‒ Oh, Votre Majesté ! s'exclama-t-elle. Vous allez bien ?

‒ Ça pourrait aller mieux, murmura la reine.

Elle se redressa et éleva la voix.

‒ Veuillez m'excuser, mais je vais me retirer dans mes appartements un instant.

***

Eira sortit de sa chambre, vêtue d'une nouvelle robe. Elle fit un pas en avant dans le couloir sombre et prit une grande inspiration, cherchant le courage de retourner dans la salle de bal.

Un détail inhabituel la fit alors sursauter : il n'y avait pas de gardes aux alentours.

C'est qu'elle sentit une présence derrière elle.

Avant qu'elle ne puisse faire un geste, un couteau était pointé sur sa gorge. Un jeune homme sortit de l'ombre et s'avança vers elle. Il s'agissait du vicomte de Sigrun. Son regard froid, dépourvu d'une quelconque chaleur, la fit frissonner.

‒ Un avertissement serait le bienvenu la prochaine fois, souffla-t-elle.

‒ Oh, il n'y aura pas de prochaine fois, répondit Aspen.

‒ On dirait que vous avez quelque chose contre moi, dit Eira, cherchant à gagner du temps pour trouver une échappatoire.

Ils étaient au moins deux. L'un tenait une dague contre son cou et l'autre se tenait devant elle. Que lui voulait le vicomte ? Combien d'hommes avait-il emmené avec lui ? Était-ce un coup d'état ? Mais était-il seulement celui qu'il prétendait être ?

Elle entendit son opposant éclater d'un rire mauvais.

‒ Et vous, vous avez quelque chose contre les humains, répliqua le jeune homme.

La reine sursauta. Un humain ? Le vicomte n'était pas un Fey, mais un humain ? Tout s'éclaira dans son esprit. L'homme en face d'elle devait être un rebelle, un chef des brigands qui refusaient la suprématie des siens.

‒ Je devine votre surprise, déclara le prétendu vicomte. Je me prénomme Aspen Vidarr, et ne suis nulle autre que votre assassin.

Il marqua une pause, puis reprit :

‒ Je suis également celui que vous avez essayé de tuer.

Eira se raidit. Elle avait essayé de le tuer ? Mais comment ? Elle ne se souvenait pas de lui. Il devait être un villageois qui n'ayant pas pu payer ses impôts, avait été condamné à mort par les percepteurs. Mais par elle ne savait quel miracle, il avait échappé à son sort. Et puis, il portait le nom de Vidarr, qui était assez commun parmi les habitants de Bylur et dont héritaient automatiquement les orphelins trouvés.

Enfin, ils n'étaient qu'humains. Elle ne devrait pas avoir de problème à les maîtriser. Brusquement, elle saisit le bras de l'homme derrière elle et le repoussa. Elle se baissa, décochant un coup de pied dans le ventre de son agresseur et le renversa à terre. Elle lui arracha son couteau et le plaqua contre sa gorge. Stupéfaite, elle réalisa que son attaquant était un adolescent à peine passé à l'âge adulte.

Aspen fit un mouvement vers elle :

‒ Mais... comment est‒ce possible ?

‒ Je suis une Fey, tout simplement, rétorqua-t-elle. Maintenant, vous allez m'écouter ou je le tue.

Elle désigna le jeune homme aux cheveux roux qu'elle maintenait au sol.

‒ Ne te préoccupes pas de moi, Aspen ! s'écria ce dernier. Tue-la !

Eira appuya sur la lame du couteau avec plus de force. Une fine entaille commençait déjà à saigner. Elle devait faire attention à ne pas le tuer, car les humains étaient fragiles, et elle perdrait sa monnaie d'échange.

‒ J'ai dit que vous allez m'écouter. Me tuer ne sert à rien. Comme vous me l'avez dit plus tôt, je suis une reine dans réel soutien. Mes ministres et conseillers sont ceux qui gouvernent le royaume. Ils massacreront les humains jusqu'au dernier si je meurs. Et ce n'est pas ce que vous voulez, n'est‒ce pas ? Alors, je vous fais la même proposition que tout à l'heure : une alliance. Un mariage pour apaiser les tensions.

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