Chapitre 14 : Disparition

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Aspen arracha un bout de sa chemise et se banda la main. Mille pensées fourmillaient dans son esprit. Est-ce que tout ce temps où il s'était cru humain, il était en réalité un Fey ?

Mais cela ne changeait rien à sa cause. Il devait libérer les humains du joug des Fey.

Il ne s'était jamais blessé auparavant, aussi loin qu'il s'en souvienne depuis qu'il s'était réveillé dans son tombeau de glace et de terre. Il avait toujours cru qu'il avait la peau dure, ou beaucoup de chance. A bien y penser, cela semblait suspect.

A défaut de trouver une explication, il fallait qu'il cache sa blessure. Eira, celle qui l'avait enterré vivant, était la clé pour comprendre qui il avait été par le passé.

***

Plusieurs coups retentirent à la porte de l'antichambre de la reine. Lady Ulyana posa son travail d'aiguille sur un guéridon et se leva. Elle échangea quelques mots avec un garde, puis revint vers la reine, qui leva la tête. Dans la lumière pâle de l'aube, la duchesse de Meridia était blanche comme un linge.

‒ La princesse Deidre, murmura-t-elle. Elle a disparu.

Eira tressaillit. Les autres dames délaissèrent leur ouvrage pour se regrouper autour de leur aînée.

‒ Qu'est-ce qu'on vous a dit, exactement ? s'enquit Lady Kyra.

‒ Lord Barun s'est présenté devant sa chambre ce matin, mais elle était vide. Il l'a fait chercher, mais la princesse ne se trouvait pas avec sa délégation, ni nulle part d'autre.

‒ C'est terrible ! s'écria Lady Lyorna en frissonnant. Est-ce qu'elle se serait fait enlever ?

‒ C'est bien possible, admit la duchesse de Meridia. C'est terrible, le roi Zulimar pourrait nous déclarer la guerre pour la disparition de sa fille.

La reine se redressa dans son fauteuil.

‒ Je vous ordonne de vous disperser et d'aider les gardes à la chercher, dit-elle. Elle se trouve sans doute parmi les courtisans ou se promène dans une cour quelconque. Elle s'est peut-être même rendue seule au Pavillon d'Hiver.

Les dames de compagnie hochèrent brièvement la tête et sortirent des appartements royaux dans un bruissement d'étoffes précieuses. Lady Dolion, la main sur la poignée, hésita un instant.

‒ Désirez-vous que je reste auprès de vous, Majesté ? lui demanda-t-elle.

Eira garda un visage impassible.

‒ Non, ce n'est pas la peine. Il faut que le plus de monde possible parte à sa recherche. Les gardes de la porte veilleront sur moi.

‒ Comme il vous plaira.

La camériste disparut à son tour. Dès qu'elle fut partie, la souveraine posa son livre et se dirigea vers le passage secret. Elle courut à toute vitesse dans le labyrinthe et arriva dans la petite cave en quelques instants. Quelle mouche avait piqué Deidre pour qu'elle se volatilise ainsi ? Elle était peut-être partie nager de bon matin, jugeant que le bassin installé dans sa chambre était trop exigu.

Eira déboucha sur la grève, mais la crique était déserte. Les rares plantes et arbustes rachitiques se balançaient au rythme des bourrasques de vent. La jeune femme s'avança plus loin, scrutant l'horizon qui se terrait dans la brume du matin, mais elle n'aperçut aucune silhouette entre les vagues déchainées. Elle resta quelque temps à observer le soleil monter dans le ciel.

Elle avait fait fausse route. La houle était trop dangereuse, même pour une Fey aux muscles puissants, habituée des flots. Elle aurait risqué de dériver ou de se noyer. Alors, où était la princesse ?

La reine rebroussa chemin, claquant la porte de la chaumière et s'aventura à nouveau dans les galeries gelées. Mille questions bouillaient dans son esprit. Peut-être bien que Lady Lyorna avait raison, et qu'elle avait été enlevée par des ennemis de Bylur. Elle songea à l'empire colonial d'Aranya. Une guerre entre la Contrée des Lacs et le royaume de Bylur les réjouirait certainement. Que faire ?

Elle refermait à peine le passage que Lady Ulyana entrait dans la chambre. Lady Hati, la plus jeune des suivantes, la suivait comme son ombre.

‒ Nous ne l'avons point trouvée, lança la duchesse de Meridia.

‒ Nous avons pourtant interrogé tous les courtisans que nous avons croisé sur notre chemin, murmura Lady Hati en tripotant nerveusement son bracelet.

‒ Je ne vois qu'une solution, reprit Lady Ulyana. Nous allons devoir trouver un sosie pour la remplacer auprès des ambassadeurs.

‒ Mais vous n'y pensez pas ! réagit Eira. Que se passerait-il s'ils découvraient le pot aux roses ? Ce serait la guerre ! Non, il vaut mieux leur avouer la vérité.

Sa suivante la jaugea du regard et la reine se recroquevilla sous son regard insistant. Elle n'avait vraiment pas sa place dans une Cour remplie de complots et d'intrigues. La fine trame des machinations lui échappait totalement. Au moment où elle s'apprêta à se raviser, les gardes ouvrirent la porte à Lady Dolion. Cette dernière tenait une petite missive à la main.

‒ J'ai découvert ceci sous l'oreiller de la princesse, déclara-t-elle. Elle raconte qu'elle s'est enfuie dans la nuit pour se rendre au port d'Aegir et quitter le royaume.

Eira se figea. La ville d'Aegir, au nord du Palais d'Eriknus, abritait le plus grand port du pays. Il reliait Bylur aussi bien aux îles du Nord qu'à la Confédération d'Izaro.

‒ Pourquoi aurait-elle fait cela ? s'écria Lady Ulyana. C'est insensé. Il s'agit forcément d'une fausse lettre, rédigée par nos ennemis pour brouiller les pistes avant qu'ils ne réclament une rançon.

Mais la reine n'en était pas si sûre. Deidre avait sans doute voulu fuir son mariage arrangé. Elle se rappela ses paroles :

« Si seulement je pouvais tout laisser derrière moi et prendre le large... Oublier mes soucis, et ne jamais regarder en arrière... »

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