Chapitre 43 : Ombres

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Eira sauta sur ses pieds, dos à la mer, la tête levée vers la cime des arbres. Aspen se redressa plus lentement, scrutant les alentours, la main crispée si fort sur son glaive que ses jointures étaient blanches.

‒ D'où venait ce cri ? s'étonna Eira. Et qui as pu pousser un hurlement pareil ?

‒ Ou quoi, corrigea le brigand.

La reine déglutit.

‒ C'était sans doute un animal sauvage en train de chasser, marmonna le jeune homme pour la rassurer.

‒ Allons voir tout de même, suggéra Eira en jetant l'étui de la lyre sur son épaule. Si cette bête féroce nous attaque, nous nous défendrons avec nos pouvoirs.

Aspen secoua la couverture pour en chasser les grains de sables qui s'y étaient logés, et la replia avec soin. Il suivit la reine lorsqu'elle se dirigea vers l'intérieur des terres, sans baisser sa garde un seul instant.

Ils progressèrent un moment sur le sentier, quand Eira s'arrêta brusquement. Ils étaient arrivés à une impasse. Loin de se décourager, elle s'écria :

‒ Nous ne trouverons rien en restant sur les chemins tracés. Poursuivons notre route dans la forêt.

Son ami acquiesça d'un hochement de tête et ils s'enfoncèrent dans la forêt obscure, prenant garde à ne pas trébucher. Au-dessus d'eux, les oiseaux nocturnes piquaient sur leurs proies en agitant leurs ailes, serres grandes ouvertes, faisant frémir le feuillage. Quelques papillons de nuit tourbillonnaient autour d'une plante dont les grandes fleurs luisaient doucement dans la pénombre, réverbérant la lumière des lunes. Le brigand devança la reine et en cueillit l'une d'entre elles.

‒ En guise de lanterne, expliqua-t-il.

‒ C'est vrai que nous aurons bien besoin d'éclairage si nous voulons trouver quelque chose, déclara la jeune femme. Je ne pense pas que ma vision nocturne suffise. Quel dommage que nous n'ayons ni l'un ni l'autre les pouvoirs des mages d'été...

‒ Je trouve que ton don te convient, flocon de neige. Tu es unique parmi tant de Fey différents mais si semblables à la fois. La neige est pure et belle comme ton âme, mais aussi très mélancolique. Elle peut se changer en glace, qui blesse tes ennemis et s'érige en forteresse autour de toi, t'isolant du monde extérieur.

‒ Je vois, souffla Eira. Ta magie te va très bien aussi. Tu es comme la glace, froid et impénétrable, jusqu'à ce que ta carapace fonde sous les rayons du soleil.

‒ Et tu es ce rayon de soleil, compléta Aspen.

La reine rougit et s'empressa de changer de sujet.

‒ Et dans ce cas, poursuivit-t-elle, je déplore l'absence des jumeaux. Peut-être tomberons-nous sur Majira, qui pourra nous aider.

‒ Je préfère que nous restions tous les deux, affirma son interlocuteur avec un sourire en coin.

‒ Oh, vraiment ? Tu es désireux de me garder pour toi seul ?

‒ Oui.

‒ Tu es moins bavard, tout d'un coup, remarqua Eira. Tiens, je te défie de m'attraper.

Elle détala en s'esclaffant, l'étrange hurlement déjà longtemps oublié. Aspen la suivit en riant, encombré par sa fleur exotique. Eira se retourna pour lui sourire. Elle se sentait vivante enfin, bien loin de ses obligations de reine et du fardeau qu'était son pouvoir. Là, dans la pâleur de la nuit, avec Aspen, elle était enfin elle-même, avec pour seul autre témoin les astres silencieux. Pourtant, ces derniers chantaient dans son cœur une ballade qu'elle était la seule à entendre. A moins que son compagnon en entende aussi leur mélodie satinée.

Frozen TearsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant