Chapitre 12 : Promesse

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Une grande fenêtre laissait voir le parc enneigé. Aspen, lassé de tourner autour du petit bassin d'eau chaude dans la chambre qu'on lui avait assigné au Palais, s'assît sur l'encadrement de la baie vitrée.

La porte était verrouillée. Il était enfermé dans ces appartements trop grands, emplis de faste. Tout cet apparat lui donnait mal à la tête. Ainsi qu'il le redoutait, il n'était qu'un prisonnier ici, attendant sans doute son exécution, ou peut-être le mariage promis par la reine.

Tout en regardant un coin de ciel gris visible au-dessus des sapins, il se demanda qui il avait été par le passé, puis fronça les sourcils. Cela n'avait plus d'importance maintenant. A présent, il était Aspen, chef d'un groupe de brigands, fier rebelle luttant contre les Fey, et bientôt le futur roi de Bylur.

Il entendit une clé tourner dans la serrure et se redressa, intrigué. Est-ce qu'un serviteur venait lui apporter son repas ? Ce serait sûrement un humain. Peut-être pourrait-il converser avec lui.

La porte s'ouvrît et Eira apparut. Surpris, Aspen serra les poings. Que lui voulait la reine des glaces ?

‒ Vous ! cracha-t-il.

‒ Oui, moi, dit-elle doucement.

Elle fit un pas en avant mais resta dans l'encadrement de la porte, comme si elle ne savait pas exactement ce qu'elle venait faire là.

Cela l'exaspéra. Il avait l'impression d'être un Skuaar en cage que les passants venaient voir lors d'une foire.

Il s'avança et lui enjoignit de rentrer, comme s'il était chez lui et recevait de la visite. Mais il ne serait jamais ici chez lui. Jamais. Il était chez ses ennemis, et devrait à chaque instant protéger sa vie.

La reine lui fit face, mais son trouble se lisait sur son visage. Elle triturait nerveusement la manche de sa robe.

‒ Je suis venue vous convier à une réunion pour discuter des conditions du traité qui sera établi à notre mariage, déclara-t-elle.

Aspen la jaugea du regard.

‒ Vous devriez faire chercher des maires humains ou des chefs de village pour en débattre, proposa-t-il. Je ne suis qu'un brigand, après tout.

‒ Vous êtes le chef d'un groupe de rebelles, et vous ne vous estimez pas digne de représenter votre cause ?

La haine déforma le visage du jeune homme. Une reine qui vivait dans le luxe prétendait savoir mieux que lui, qui avait vécu parmi les humains ?

Elle ne remplirait peut-être jamais sa promesse. Il valait peut-être mieux la tuer tout de suite, maintenant qu'ils étaient seuls. Eira l'avait laissé pour mort, et avait incendié Moonport, après tout. Qui savait réellement de quoi les Fey sont capables ?

Serrant les dents, il se jeta sur elle, la saisit par les épaules et chuta avec elle dans le petit bassin, éclaboussant le sol de marbre. Eira poussa un cri de surprise tandis que les eaux les engloutirent. Elle se débattit pour remonter à la surface, créant des remous, mais il serra ses deux mains autour de son cou.

Le brigand plongea son regard bleu dans le sien, brun foncé. Qui était le monstre à ce moment-là ? Il n'aurait su le dire.

Une main fine surgit devant lui et s'agrippa à sa chemise. Il sentit un froid l'envahir tout entier, ses membres se figer et son esprit ralentir comme s'il sombrait dans le sommeil. Que se passait-il ?

Il lâcha brusquement son ennemie mortelle. Complètement paniqué, il tâcha de s'extirper de sa torpeur. ll n'avait plus de souffle. Faisant de grands mouvements de bras, Aspen parvint à rejoindre la surface. Il avala de grandes goulées d'air. L'eau était à présent glaciale.

Il sortit du bassin en frissonnant.

La reine était à deux pas de lui, accroupie sur le sol, les mains pressées sur la gorge comme si elle peinait à respirer. Ses joues pâles étaient teintées de pourpre. De l'eau ruisselait sur ses longs cheveux bruns, emmêlés par leur lutte sous‒marine. Pourtant, elle souriait.

‒ Vous... vous m'avez jeté un sort ! s'exclama-t-il, horrifié. Vous utilisez la magie !

‒ Je ne vais pas le nier, fit Eira.

‒ Je pourrai vous dénoncer... je pourrais révéler votre secret à la cour...

‒ Vous pourriez. Mais vous ne le ferez pas.

Elle s'approcha de lui. Déstabilisé, le jeune homme fit un pas en arrière et manqua de glisser sur le marbre mouillé.

‒ Nous devons nous entraider, Aspen. Si vous gardez mon secret, je vous promets de réduire de moitié les impôts que les humains doivent aux Fey.

‒ De moitié ? Alors la Moisson aura lieu une fois par an au lieu d'une fois par mois.

‒ Une fois par saison. Et je retirerais la sentence de mort qui pèse sur les épaules de mon peuple.

‒ C'est d'accord, accepta-t-il, ne sachant pas quel étrange pacte il venait de conclure.

La reine eut un sourire énigmatique. Saisissant la main du brigand, elle scella la promesse.

Frozen TearsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant