Chapitre 30 : Tempête

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Farrah se tenait sur le pont, accoudé au bastingage, le regard perdu dans les vagues qui s'écrasaient contre la coque. Les rafales de vent malmenaient son manteau de fourrure et plaquaient ses cheveux de feu en arrière. Aspen s'approcha de lui et posa sa main sur son épaule.

‒ Est-ce que ça va, mon vieux ? s'enquit-il.

‒ Je m'inquiète pour Althea, fit son ami. Sa fièvre s'empire de jour en jour. La pauvre se débat dans ses draps, et les croûtes ont commencé à apparaître.

Le chef des brigands resta silencieux. Lui aussi se faisait du souci pour son amie, si douce et bienveillante. Il ferma brièvement les yeux et son monde sombra dans un brouillard coloré et vibrant de pensées. Ses souvenirs étaient vivides, presque vivants, et se déroulaient devant lui comme une pièce de théâtre. Il y voyait une jeune fille à la chevelure aussi flamboyante que les feuilles d'automne, qui lui tombait en tresses épaisses dans le dos. Elle courrait vers lui en riant, les bras tendus, et il aurait tant voulu la serrer contre lui. Lui dire que tout allait bien se passer, qu'elle s'en tirerait sans une égratignure. Mais ce n'aurait sans doute été qu'un doux mensonge.

‒ Messire Doraj m'a dit que nous arriverons en Trivok dans plus d'une semaine, reprit Farrah. Je ne sais pas si elle tiendra jusqu'à là.

Il poussa un long soupir. Aspen savait que la cité-état de Verena, sur l'île de Liliha, se trouvait être la terre la plus proche d'eux, à moins d'une semaine de traversée. Mais le capitaine avait été clair : Verena avait beau faire partie de la Confédération d'Izaro, elle n'était pas alliée au royaume de Bylur et risquait de les livrer aux soldats aranyans. Il n'était donc pas question d'y poser le pied. De plus, la cité-état opérait un blocus dans cette zone, pour empêcher les étrangers d'entrer. Avec une malade à bord, et un haut risque de contamination, ils ne risquaient pas d'être bien accueillis. Il savait que le capitaine Doraj privilégiait sa mission ‒ ramener la souveraine de Bylur en Trivok ‒ au profit que la vie de son amie. Est-ce qu'elle était condamnée à une mort certaine ? Il s'en voulut de l'avoir emmenée dans son périlleux voyage.

‒ Ne te fais pas trop de souci, lança Farrah pour lui changer les idées. C'était sa décision de venir avec nous. Si on le lui avait refusé, elle aurait trouvé un autre moyen de nous suivre. Elle peut être têtue quand elle le veut.

Aspen hocha doucement la tête. Son frère d'armes avait sans doute raison.

‒ Parfois, je me demande à quoi ressemblera ma tombe..., chuchota-t-il.

‒ Voyons, s'écria le jeune homme blond, j'espère bien que tu ne comptes pas nous fausser compagnie de sitôt !

‒ Au fait, est-ce vrai ce que l'équipage se murmure ? Tu as passé la nuit dans la cabine de la reine ?

Farrah avait un petit sourire au coin des lèvres. Le brigand haussa les épaules.

‒ C'était seulement pour veiller sur elle durant son sommeil.

Il s'interrompît, puis ajouta :

‒ Elle n'est pas si terrible, tu sais. Ce n'est pas le monstre sans cœur que décrivent les bylariens. A mon avis, ses ministres la tiennent sous leur joug.

Le jeune homme le regarda avec une surprise mêlée de crainte.

‒ Mais qu'est-ce qu'elle t'a fait, mon pote ? Elle t'a ensorcelé ?

‒ Oh, sans aucun doute. J'ai même pu voir son vrai visage, qui est profondément ridé et plein de vilaines verrues.

Ils se dévisagèrent et éclatèrent de rire.

‒ Au fait, s'avança Aspen, il y a quelque chose que je devrais te dire. Je tiens à ce que tu le saches.

Il tira son glaive de sa ceinture et le tint devant lui en évidence.

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