Chapitre 35 : Remords

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Eira jaillit sur le pont comme un Levani effrayé. L'odeur écœurante et métallique du sang frais parvint à ses narines, mais elle s'en soucia à peine. Des blessés gisaient sur des civières posées à même le sol. Rafaela était penchée sur l'un d'entre eux, dont le torse était couvert d'estafilades. Des membres de l'équipage encore valides courraient dans tous les sens autour d'elle, apportant du désinfectant, des bandages, de la pommade cicatrisante. Dans un coin, des formes enveloppées d'un drap blanc étaient allongées au sol. Elle remarqua que le tissu se teintait peu à peu de rouge.

‒ À l'aide ! cria-t-elle. Aidez-moi !

Les matelots levèrent leurs regards vers elle. Ses oreilles bourdonnaient, elle entendait à peine sa propre voix.

‒ Il faut m'aider ! s'égosilla-t-elle encore.

Sa vision était trouble. Elle fit un pas en avant, vacilla, et manqua de tomber. Une petite main la soutint au dernier moment, et la reine se retourna pour rencontrer le regard de Deidre. Derrière elle, Camilo s'approchait, un bras en écharpe.

‒ Que se passe-t-il ? s'enquit ce dernier, alerté par ses cris. Le combat est fini, les ennemis ont pris la fuite. J'ai envoyé Kai vous chercher.

‒ Il... est blessé ! Je suis désolée, mais j'ai...

‒ Oh non, la coupa-t-il, les pirates ont réussi à le toucher ?

Il héla la guérisseuse, et tous deux s'élancèrent sur la petite échelle qui menait à la cale. Ils en ressortirent quelques instants plus tard pour conduire le pauvre homme à l'infirmerie. Eira les suivit. Le dénommé Kai fut allongé sur le lit où elle dormait encore il y a quelque temps.

‒ Est-ce qu'il va s'en sortir ? demanda-t-elle à Rafaela.

‒ Je ne sais pas, répondit celle-ci, occupée à recoudre sa plaie. Il a perdu beaucoup de sang, et l'entaille est profonde. Le crâne est fracassé. J'ai bien peur que le cerveau ne soit touché.

‒ Est-ce que je peux vous aider ?

Nerveuse, elle triturait la manche de sa robe.

‒ Donnez-moi cette compresse-là, dit Rafaela en désignant la table derrière elle.

La reine s'empressa de lui obéir. De l'autre côté du guéridon, Camilo faisait les cent pas, les sourcils froncés.

‒ Je me demande comment il a reçu cette blessure... Un carreau d'arbalète l'aurait-il transpercé ? Non, impossible... Enfin, nous aurions dû pourchasser cet équipage et les exterminer jusqu'au dernier...

La jeune femme se raidit. Ces paroles ne ressemblaient en rien au quartier-maître, d'ordinaire si jovial et enjoué. Elle comprenait cependant qu'il soit attaché à ses compagnons, et craigne pour leur vie.

‒ Voilà, je ne peux pas en faire plus, déclara Rafaela en essuyant ses mains tachées de sang avec un torchon propre.

Elle fit un pas en arrière.

‒ Son destin est entre les mains des dieux... Puisse les griffes d'Harimauv être clémentes.

Eira sursauta à la mention de ce nom, puis se reprit. Rafaela venait des îles du sud, elle était une pratiquante de la religion Danuta, qui attribuait à leurs dieux des visages d'animaux.

‒ Est-ce que je peux faire autre chose ? l'interrogea-t-elle encore.

‒ Non, rien pour le moment. Suivez-moi, je vais vous montrer votre cabine.

La guérisseuse la conduisit jusqu'à une petite chambre située entre la remise où se reposait Althea et le bureau de Deidre. Mal à l'aise, elle s'assit sur le lit quand la femme à la peau brune referma la porte.

Frozen TearsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant