Chapitre 34 : Assaut

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Le Deuxième Chance était une corvette à trois mats, légère et rapide. Les matelots s'affairaient avec les cordages, ferlaient les voiles, lavaient le pont. Eira s'avança vers le bastingage et s'y appuya. Des nuages s'amoncelaient à l'horizon. Une douce brise faisait voler ses longs cheveux bruns.

Elle resta quelques temps à respirer le grand air, le cœur lourd d'être encore en vie. Elle s'en voulait de respirer encore alors que ses compagnons étaient morts. La jeune femme se promit de protéger Althea coûte que coûte, en hommage à Farrah et à Aspen. Le chef des brigands était sans doute au fond de la mer, ou alors flottant quelque part à la surface, les os blanchis comme dans la chanson de Lady Hati.

C'est alors que Camilo, le quartier-maître du navire, s'approcha d'elle. Il tenait un ballot empaqueté de vieux papier griffonné entre ses mains larges.

‒ Rafaela m'a chargé de vous donner ça, Votre Majesté, dit-il en guise d'introduction.

Eira se saisit du paquetage et l'ouvrit. Un bouquet de fleurs séchées se trouvait à l'intérieur.

‒ Elle pensait que vous pourriez jeter ça à la mer, comme un dernier hommage à vos compagnons disparus, expliqua-t-il.

‒ Mais... est-ce qu'elle n'a pas besoin de ces plantes ? lui demanda la souveraine.

‒ Si vous voyiez ce qu'il y a dans ses placards, vous n'en reviendriez pas, déclara le marin avec un sourire. Et puis, elle pourrait toujours s'en procurer d'autres à Thalassa. C'est un vrai comptoir commercial, là-bas.

La jeune femme baissa la tête pour examiner les fleurs. Il y en avait des bleues, des roses, et des blanches, si petites qu'elles ressemblaient à des étoiles. Malgré leur aspect défraîchi, elle se dit que cela ferait bien l'affaire. Avec tristesse, elle songea qu'elle ne connaîtrait jamais la couleur préférée d'Aspen.

Prenant une grande inspiration, elle étreignit le bouquet contre son cœur et le lança par-dessus bord. Il s'écrasa à la surface, et les fleurs se répandirent dans l'eau.

Une larme roula le long de sa joue.

‒ Merci pour tout, murmura-t-elle.

Les fleurs continuèrent leur danse lente et s'enfoncèrent dans les flots, avalées par la mer. Eira les regarda disparaître avec un pincement au cœur.

Petit à petit, la corvette pénétra dans une épaisse chape de brouillard. La brume caressa du bout de ses doigts glacés le visage de la reine, qui ferma les yeux pour savourer cette sensation bienvenue. Autrefois cloîtrée dans sa chambre au Palais la majorité de son temps, elle avait rarement eu l'occasion de vivre un tel moment. Seuls les livres lui avaient offert un semblant d'aventure.

‒ Votre Majesté, est-ce que vous souhaitez que je vous fasse visiter le bâtiment ? s'enquit une voix.

Elle se retourna. Un jeune marin de haute taille aux épaules larges et au visage hâlé par le soleil se tenait devant elle. Il avait des cheveux bruns bouclés et de grands yeux limpides qui auraient fait le bonheur d'une femme. Ses vêtements, bien que simples, témoignaient de sa vie en mer : une chemise de lin blanc, un pantalon de toile usée et des bottes de cuir qui portaient les marques du sel. Un grand sourire illuminait son visage.

‒ Je veux bien, affirma-t-elle, songeant que cela pourrait être une distraction bienvenue. Quel est votre nom ?

‒ Je m'appelle Kai, se présenta-t-il. Je suis charpentier.

Il l'entraîna plus loin pour lui montrer chaque recoin de la corvette. Le soleil filtrait à travers les voiles gonflées par le vent, projetant des ombres dansantes sur le bois poli du navire. La reine suivit Kai, attentive à chaque détail.

Frozen TearsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant