Chapitre 3 : Moisson

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La fin du mois tant redoutée était arrivée. Ce jour-là, les pêcheurs n'étaient pas partis en mer. Leurs bateaux stationnaient sur le quai. Les filets abandonnés séchaient sur la berge.

Les percepteurs des impôts, vêtus d'un long manteau vert sapin en queue de pie et d'une plume de la même couleur sur leur chapeau, s'avançaient dans le petit village portuaire de Moonport.

Sur leur passage, les habitants, tremblants, se réunissaient sur le palier de leur maison, un petit coffret rempli d'argent à la main.

Passant d'habitation en habitation, les Fey récoltaient les précieuses couronnes. Les villageois, le regard vide, leur tendaient leur monnaie durement gagnée dans le mois qui leur permettaient de rester en vie.

Soudain, un grand attroupement se fit autour d'une petite masure.

‒ Je vous dis que c'est tout ce que j'ai ! criait une femme, serrant deux enfants terrorisés dans ses bras.

‒ Ce n'est pas assez, répondit froidement un percepteur. Il nous faut dix couronnes par personne.

‒ Mes filles sont encore petites, je vous en prie..., implora-t-elle.

Le percepteur en chef fit un signe à ses subordonnés. D'un geste, ils attrapèrent la femme par les bras et la jetèrent à terre. Les deux fillettes coururent se réfugier dans la maison en criant. Les villageois observaient la scène en silence, le visage fermé.

Un Fey leva son épée au-dessus de la tête de la pauvre femme. Cette dernière, à genoux sur le sol, le visage contre la terre gelée, tremblait de tous ses membres. Les mains serrées sur un attrape-soleil qu'elle portait autour du cou, elle murmurait des prières vaines à l'intention des dieux.

Et son vœu s'exauça. Au moment où le percepteur abattit son arme, celle-ci ricocha contre une autre lame.

Un homme grand et blond se tenait devant lui, les sourcils froncés.

‒ Qui es-tu ? s'écria le Fey. Ne viens pas interrompre la Moisson où tu y passeras aussi !

‒ Le seul qui mourra aujourd'hui, ce sera toi ! répliqua l'inconnu.

Le percepteur se jeta sur lui en poussant un cri. Les deux épées s'entrechoquèrent, se mêlant dans une danse mortelle. Derrière eux, un groupe de brigands attaquaient les Fey.

Un jeune homme aux cheveux roux et au visage constellé de taches de rousseur aida la villageoise à se relever et la conduisit dans sa maison.

Dans le petit village de Moonport, des cris et le choc des épées résonnaient. Les habitants s'étaient réfugiés dans leurs chalets et s'étaient barricadés chez eux.

Le brigand aux cheveux blonds se battait contre deux Fey avec difficulté, parant leurs coups avec force. Soudain, un vent violent se leva, soulevant les manteaux des percepteurs, leur giflant le visage. Petit à petit, une tempête de neige leur bloqua bientôt la vue. Leurs chapeaux s'envolèrent. Les yeux plissés, ils aperçurent dans le blizzard un homme courir dans leur direction, épée à la main. Avant qu'ils n'aient pu faire un geste, ils s'effondrèrent tous deux, une entaille suintant de sang argenté sur la gorge.

Le chef des percepteurs regarda la vie quitter les yeux de ses hommes. Perçant la tempête, il cria aux brigands :

‒ Venez m'affronter, si vous l'osez !

L'homme aux cheveux blonds fit un pas vers lui. Le Fey courut dans sa direction, et abattit son arme sur celle de son adversaire. Ils échangèrent plusieurs coups, leurs épées chantant la mélodie du fer. Après quelques échanges, et malgré sa détermination, le jeune brigand se retrouva en mauvaise position face à l'expertise de son opposant.

Parant un affront, il lâcha son glaive qu'il tenait des deux mains et sortit un petit poignard de sa tunique. Il l'enfonça brusquement dans le côté gauche du Fey, avant de l'en extraire. Ce dernier serra les dents et poursuivit son attaque l'air de rien. Le brigand repoussa toutes ses feintes, tandis que du sang gris perle coulait sur le sol.

Soudain, une bête immense surgit par-derrière et renversa le percepteur, le jetant à terre. Le Nandreth posa une lourde patte sur son dos et le maintint au sol.

Malgré sa puissance, l'homme ne parvenait pas à se relever. La force brute de l'animal lui était bien supérieure.

‒ Vous vous prenez pour des héros, des sauveurs, mais vous n'êtes rien n'autre que des lâches ! cracha-t-il.

‒ Nous n'avons jamais prétendu être des héros, répondit le jeune homme. Nous ne servons pas une noble cause. Vous, les Fey, bien que vous soyez cruels, vous oubliez que les humains sont rusés et pleins de vices. Nous ne sommes pas si différents que ça, finalement.

Et sur ces paroles, il trancha la gorge du chef des percepteurs.

Frozen TearsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant