Les servantes du Palais courraient dans tous les sens, apportant des robes, ajustant un ruban, raccommodant un ourlet.
Lady Dolion s'approcha de la reine, assise sur son lit.
‒ Votre Majesté, vous devriez choisir votre toilette pour le bal, dit-elle.
Eira ne leva pas les yeux de son livre. Tournant une page, absorbée par son histoire, elle lança :
‒ Mais je suis en train de lire ! Choisissez à ma place.
La suivante soupira et s'avança dans la chambre, s'approchant de la garde-robe royale. En fidèle camériste, elle examina plusieurs tenues, mais son dévolu se jeta sur une longue robe bleu poudré.
‒ La reine va porter celle-ci. Préparez-là, indiqua-t-elle aux servantes.
Elle se tourna vers sa souveraine pour lui demander de se décider sur les bijoux qu'elle porterait pour la réception, mais cette dernière était toujours plongée dans sa lecture. A côté, dans le petit boudoir qui jouxtait l'antichambre, on pouvait entendre des bribes de discussion et des gloussements de Lady Lyorna Kari, duchesse de Bjorn, et de Lady Monia Fraedis, comtesse de Borghild. Les deux dames de compagnie avaient préféré s'isoler loin de la reine, et la laissaient s'occuper seule des préparatifs. Au moment où elle se faisait cette réflexion, Lady Ulyana fit son entrée, suivie de Lady Hati.
‒ Alors, où en sont les préparatifs ? lança-t-elle.
‒ Sa Majesté a choisi sa robe, répondit la camériste. Reste sa parure.
‒ Vous devriez opter pour un des bijoux offerts par le prince Zulimar, s'écria la duchesse de Meridia à l'intention de la reine. Vous montrerez ainsi à la Cour vos bonnes dispositions envers son pays.
Eira referma son volume dans un claquement sec, sans prendre le temps de marquer sa page.
‒ Est-ce que cela n'enverrait pas un signe révélateur de mes intentions aux ambassadeurs de la Contrée des Lacs ?
‒ Le contraire les offenserait, releva l'aînée des suivantes.
La reine agrippa les bords de son ouvrage si fort que ses jointures devinrent blanches à l'intérieur de ses gants. Elle tâcha de garder son calme afin que son pouvoir ne se manifeste pas. Comme d'habitude, elle allait céder aux directives de sa suite.
‒ Très bien, consentit-elle.
Elle était la reine. Alors pourquoi tremblait-elle face aux exigences de sa Cour ? Elle était censée avoir le dernier mot. Elle se jura de choisir elle-même qui elle allait épouser.
En face d'elle, Lady Dolion sortit du petit coffret en bois de Serve un collier de perles de nacre et des boucles d'oreilles assorties, puis les déposa sur un meuble, avant de quitter la pièce en compagnie des autres dames.
Une fois ses suivantes parties, Eira se laisser tomber en arrière sur son lit. Elle ramena ses jambes contre elle, froissant le bas de sa robe.
Elle était reconnaissante envers Lady Dolion de lui passer ses caprices. Sa fidèle amie était aussi sa seule confidente, l'unique personne en qui elle avait confiance.
Aussi silencieusement qu'une ombre, elle se leva, souleva une tenture portant ses armoiries et appuya sa main sur le mur de glace. Un pan coulissa, et la jeune femme se glissa dans le passage dérobé. Un courant d'air vagabondait dans le tunnel de glace où l'obscurité régnait. Mais Eira y voyait comme en plein jour. La galerie, vieille de plusieurs siècles, servait d'échappatoire aux occupants du Palais en cas de siège.
Après de nombreux détours, la reine finit par déboucher dans une cave inoccupée. Quelques caisses vides trainaient çà et là. Elle gravit une volée de marches et poussa un panneau de bois, se retrouvant dans une cabane abandonnée. De la poussière recouvrait les meubles et les rideaux se balançaient doucement dans le vent qui pénétrait à travers un carreau brisé. Sur une étagère s'étalaient trois livres à la couverture gondolée.
La porte grinça sur ses gonds quand Eira sortit à l'extérieur. Le chant des vagues et l'odeur de la mer l'accueillirent comme une vieille amie. Devant elle se déroulait une crique sauvage, entourée de rochers et bordée d'une petite plage désolée. La grisaille du ciel embrassait le bleu profond de la mer. Retirant d'abord ses souliers, puis son surcot, et enfin ses jupons, elle se dirigea vers l'étendue azur, laissant ses vêtements glisser sur le sable. Seulement vêtue d'un linge de corps, elle plongea dans les flots. Les eaux glaciales l'accueillirent lorsqu'elle pénétra dans leur giron, célébrant son retour avec maintes éclaboussures. Des petits poissons frétillants au corps argenté dansaient autour d'elle. Remontant à la surface, la reine se laissa flotter sur le dos. Elle se sentait enfin chez elle.
L'eau n'avait ni commencement ni fin. Elle aurait tellement aimé être libre comme les flots, libre de son fardeau millénaire, de cette lignée royale qui pesait sur ses épaules et qu'elle allait devoir perpétuer.
L'horizon s'embrasait petit à petit de rouge, et bientôt le soleil tomberait dans la mer. Elle rêva à des contrées encore inconnues, à des paysages lointains qu'elle ne verrait probablement jamais.
La jeune femme allait devoir rencontrer de nombreux nobles Fey venus des quatre coins du continent pour la féliciter. Elle laissa échapper un long soupir. Si seulement elle pouvait échapper à ce bal. Elle préférerait noyer ses soucis et ses regrets passés en se plongeant dans la rêverie, s'imaginant être une héroïne luttant contre son destin, voguant quelque part dans un endroit reculé ou sur des mers exotiques. Elle aurait mieux aimé passer la soirée à lire ou écrire plutôt qu'à danser.
Mais demain, elle n'aurait pas droit à l'erreur. Elle devrait faire bonne figure devant les dignitaires et représentants du monde entier. Ou cela lui coûterait son trône. Et peut-être même sa vie.
VOUS LISEZ
Frozen Tears
FantasyLaissez-vous emporter par une réécriture de la reine des neiges dans la cour des Fey ! Dans le royaume gelé de Bylur, où la magie est interdite, les Fey règnent en maître. Froids et cruels, ils constituent la haute classe et dominent les humains. E...