Chapitre 2 : Couronnement

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La plume dans la main d'Eira trembla sur le papier. Son écriture, d'ordinaire ronde et élégante, était tremblée et baveuse.

Elle froissa sa feuille et la jeta derrière elle. La jeune femme en reprit une autre, trempa sa plume de Kreerell dans l'encre noire de jais et reprit son poème.

L'hiver enveloppe le monde dans son manteau blanc

Porte la mort dans le chant sifflant du vent

L'automne désemparé vient de périr

Et empêche mes larmes de mentir

Satisfaite, elle posa son stylet sur son manuscrit et poussa un long soupir.

Elle écrivait pour oublier que dans quelques heures, elle serait reine. Ses parents avaient péri en mer lors d'un voyage diplomatique. Elle songea que malgré la puissance écrasante des Fey, la nature était toujours là pour leur rappeler leur statut de mortels.

Lorsqu'elle avait appris la nouvelle, elle avait gardé un visage de marbre. Les Fey ne montraient jamais leurs véritables émotions. Dans un monde où tout le monde porte un masque et dissimulait ses véritables intentions, on ne se montrait pas à visage découvert.

De toute façon, elle n'avait jamais été proche de ses géniteurs. Elle avait été élevée par une nourrice Fey qui lui avait appris à se montrer froide et impassible aux yeux de la cour, ainsi qu'à mener le royaume dune main de fer. Elle ne devait s'attacher à personne, elle le savait. Elle avait eu un confident secret par le passé. Cela c'était terminé de façon tragique, et c'était bien mieux ainsi.

Prise d'une certaine envie de pleurer, elle agrippa la table en bois précieux. Elle se sentait si seule, emprisonnée dans ce Palais de glace comme un oiseau dans une cage.

De ses doigts crispés naquirent des spirales de givre qui serpentèrent sur le bureau, gelant le guéridon. Brusquement ramenée à la réalité, elle lâcha le bord de la table.

Eira repoussa sa chaise et se leva, tâchant de calmer sa respiration. Elle essuya les larmes qui perlaient à ses yeux. Personne ne devait savoir pour ses pouvoirs. Heureusement, cela ne se produisait que lorsqu'elle ressentait de fortes émotions.

Depuis son enfance, elle avait toujours réussi à cacher qu'elle maîtrisait la magie en cachant ses véritables sentiments. Elle prit une grande inspiration. Recluse dans son monde pour ne pas se trahir, elle allait aujourd'hui devoir faire face à la cour toute entière. Et ce n'était pas aujourd'hui que le monde découvrira qu'elle a des pouvoirs. Elle ne voulait pas être bannie du royaume, ou pire, exécutée.

Eira savait que la Matriarche, la Fey la plus âgée de Bylur, haïssait la sorcellerie. En effet, il y a bien longtemps, avant que les sortilèges ne soient interdits, on raconte qu'une Fey avait perdu le contrôle de ses pouvoirs, plongeant le royaume dans un hiver éternel.

La jeune femme s'approcha de son miroir et observa sa figure ovale, ses cheveux bruns, sa mine impassible. Elle transforma son visage en masque cruel. Ce n'était qu'une façade, et pourtant elle ne montrerait jamais qui elle était vraiment. Jamais.

Plus jamais.

***

Les pans de sa robe de velours lilas froufroutaient à chacun de ses pas. La tête haute, une expression indéchiffrable sur le visage, Eira s'avançait sur le tapis violet déroulé au sol. Lady Ulyana de Valda, duchesse de Meridia et dame de compagnie, tenait sa traîne blanche.

Autour d'elle, une foule de Fey vêtus de vêtements de toutes les couleurs et de bijoux coûteux la fixaient sur regard, la jaugeant silencieusement. Eira redressa le menton. Elle ne serait pas une reine faible.

Arrivée au bout du tapis, la jeune femme s'agenouilla devant le Prophète. L'homme fit un pas en avant et lui retira sa traîne. Sa lourde bure bleue de cérémonie se souleva, faisant voler une mèche de cheveux de la princesse. S'approchant du Foyer de Mort situé à sa droite, il jeta le drap à l'intérieur du brasier. Les flammes ardentes dévorèrent le tissu. Dans le silence du temple, seul résonnait le bruit des braises qui crépitaient. La mèche des bougies posées sur l'hôtel vacillait doucement.

Ensuite, l'homme se saisit d'une pèlerine posée devant le Foyer de Vie et en drapa les épaules de la jeune femme. Le blason du Lupin noir sur fond violet du royaume de Bylur était cousu sur le manteau.

Le dignitaire fit un geste en direction de ses subordonnés.

Une prêtresse s'avança et grimpa les marches de marbre qui menaient à une petite lucarne sur le toit du temple et l'ouvrit. L'œil lumineux de Lok, la plus grande des lunes, éclaira l'édifice plongé dans l'obscurité, le nimbant dune lueur argentée.

La cérémonie pouvait commencer.

Le Prophète attrapa une coupe doré posée devant la statuette du dieu Situr et la tendit à la princesse. Eira plongea ses mains dedans, et, prenant de l'eau de lune dans le creux de ses mains, la porta à ses lèvres et but.

Puis, l'homme reposa le récipient à son emplacement. Il prit alors une couronne de filigrane argenté posé sur un couffin améthyste et le tint au-dessus de la tête d'Eira.

‒ Par les pouvoirs que me confèrent Situr, dieu de la Vie et de la Mort, à partir de ce jour, je vous couronne reine du Royaume gelé de Bylur.

Il posa la tiare sur le front de la jeune femme, et lui tendit un sceptre brillant. Cette dernière se retourna vers la foule séparée en deux par le tapis, et leva l'insigne haut dans les airs.

‒ Longue vie à la reine ! s'écrièrent les Fey.

Dans le temple, un vent glacial s'était levé.

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