Chapitre 41 : Navigateur

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‒ A présent que nous sommes tous réunis, commençons l'entraînement par les bases, déclara posément Lady Nakoma.

Assise entre Calida et Andri, Eira se concentra sur les paroles de la générale. Elle tâcha d'ignorer les œillades que lui lançait Aspen.

‒ Tout d'abord, il se trouve qu'il y a quatre pouvoirs élémentaires, un pour chacune des quatre saisons. La nature de nos dons provient du climat de l'environnement où nous avons grandi. Ainsi, les bylariens maîtrisent les pouvoirs de la neige et de la glace, les aranyans et les trivokiens manient principalement le feu. Mais il ne faut pas oublier les contrées plus tempérées, où naissent les mages du printemps, qui peuvent faire pousser des plantes ou guérir des plaies, comme Messire Jarek ici présent.

Lady Nakoma inclina la tête en direction du jeune homme à la peau brune. Eira comprit alors pourquoi il avait été désigné pour soigner Calida. Ce pouvoir lui paraissait tellement plus indispensable que son habilité à maîtriser la glace.

‒ Attendez une minute, s'écria Calida. Si les mages de printemps manient la vie, ceux d'automne peuvent donner la mort ?

‒ En effet, affirma la générale sans montrer de signes d'agacement. Maveth de l'île de Malosi ici présente, est un mage d'automne. Ces derniers sont très rares, et le pouvoir qu'ils manipulent extrêmement dangereux.

Eira vit la jeune femme aux tresses châtaines planter ses ongles dans la paume de sa main gauche.

‒ Il faut également savoir que notre don oscille au gré de nos émotions, reprit-elle. Ainsi, les émotions violentes ou fortes peuvent induire en une perte de contrôle. Mais attention, car sans émotions, il n'y a pas de pouvoirs.

La souveraine se mit à trembler comme une feuille ébranlée par le vent. Calida posa sa main sur son épaule.

‒ Ha ! Vous allez bien, Dame Eira ? s'enquit-t-elle.

Mais l'intéressée ne répondit pas. Devant ses yeux, elle voyait les Cryptides, la terrible garde de la Matriarche, la gorge embrochée au bout d'aiguilles de glace. Puis, elle visualisa Aspen, blessé par des éclats de givre dans les entrailles du château de l'archiduc. Et enfin, elle se représenta le malheureux Kai de l'équipage du Deuxième Chance, le front entaillé par sa faute.

Elle se força à prendre une grande inspiration. Lady Nakoma s'était interrompue, et tous les regards étaient fixés sur elle. Elle ne pouvait pas renoncer, et encore moins abandonner. Elle avait fini de fuir.

‒ Oui, ce n'est rien, souffla-t-elle.

Elle fit un geste vers la générale.

‒ Je vous en prie, poursuivez.

‒ Ainsi, comme je le disais, résuma la militaire, un faux pas peut provoquer un cyclone ou même une hécatombe. Mais n'ayez crainte, car je vais vous apprendre à contrôler votre magie.

Elle toisa ses élèves un à un.

‒ Bien, commençons.

***

Les mains crispées sur le bol en bois verni que lui avait confié la générale, Eira plongea son regard dans l'eau claire. Des fines ridules en troublaient la surface, signe que ses mains tremblaient.

Elle releva la tête. Un peu plus loin, Aspen, sa coupelle enserrée dans sa main large, lui jeta un coup d'œil.

‒ Concentrez-vous, lui ordonna la militaire. Visualisez vos émotions et laissez-les changer cette eau en glace.

Presque timidement, la reine se focalisa sur son fleuve intérieur. Tout doucement, comme si elle recueillait de l'eau dans le creux de ses mains, elle plongea dans les flots de la tranquillité qu'elle ressentait, la sensation de plénitude et d'apaisement qu'elle éprouvait sur cette île fleurie. Puis, elle y ajouta la tristesse, toute la peine et toute l'affliction qu'elle endurait suite à la disparition de son ami. Enfin, elle termina avec la peur, l'angoisse et l'effroi tapi au fond de son cœur, une détresse immense à l'idée que son périple pourrait mal se terminer, que ses compagnons restants pourraient périr à leur tour, que la guerre pourrait engloutir tout le continent d'Amaluria.

Lentement, une fine pellicule de glace se forma à la surface de l'eau.

‒ Bien, la félicita la générale. Mais mettez-y plus d'intensité.

Un éclair bleuté traversa le champ de vision de la reine. Aspen avait gelé son récipient avec une telle force qu'il s'était brisé en deux. Une partie de la rosée de l'herbe qui entourait le jeune homme avait subi le même sort.

Lady Nakoma délaissa la souveraine s'approcher de lui d'un pas vif.

‒ Evacuez vos soucis et votre frustration, indiqua-t-elle. Cela ne vous apportera rien de bon.

‒ Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, répliqua-t-il sèchement.

Il réunit les deux morceaux brisés du bol dans le creux de ses mains comme s'il pouvait les ressouder par la seule force de sa volonté.

‒ Vos émotions ne vous définissent pas, poursuivit la militaire comme si elle n'avait pas entendu. Dans la tempête, vous n'êtes pas le bateau malmené par les vagues, mais le navigateur.

Le brigand hocha la tête presque imperceptiblement.

‒ A présent, allez chercher une autre coupelle.

Eira se reconcentra sur sa proche tâche. Cette fois-ci, elle était maître de ses émotions. Elle les mêla avant de les imaginer en un fluide qui courrait dans ses veines, affluant vers ses mains.

Et l'eau se changea en glace.

Frozen TearsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant