Eira fit un pas en arrière, et trébucha sur un caillou. Elle atterrit durement sur le sol, mais se redressa aussitôt. Tournant le dos au monstre, elle se mit à courir à toutes jambes. Les arbres se succédaient devant elle, et elle finit par arriver à leur campement. Elle s'arrêta quand elle réalisa que toutes les couchettes étaient vides. Auraient-ils été attaqués par des créatures semblables à celle qui la poursuivait ? Elle les examina plus attentivement : les couvertures étaient défaites, mais elle ne vit aucune trace de sang. Toutes leurs maigres possessions étaient encore à leur place.
‒ Aspen ? cria-t-elle. Farrah ? Où êtes-vous ?
Elle entendit un rugissement derrière elle. La reine réalisa avec horreur qu'elle était en train de dévoiler sa position. Elle reprit sa course, plissant les yeux pour tâcher d'apercevoir ses compagnons dans l'obscurité. Dans son dos, elle pouvait entendre le bruit de lourdes pattes martelant la terre ainsi qu'une respiration sifflante.
Elle se cacha derrière un arbre et pria le dieu Situr pour qu'il lui accorde la vie sauve. Malheureusement, la bête, sans doute attirée par son odeur, surgit devant elle. Elle s'écarta vivement, mais ne put esquiver un coup de griffe sur son bras qui déchira à la fois le bandage et la chair, dévoilant sa peau brûlée. La souveraine poussa un cri et, serrant son bras blessé contre sa poitrine, elle détala à travers la forêt. Elle avait toujours couru vite, bien plus vite que les autres Fey. Mais est-ce que cela suffirait à distancer le monstre ? Est-ce que la vieille femme l'avait invoqué ou est-ce qu'ils ne formaient qu'une seule et même personne ? Elle songea au lycanthrope que Aspen avait combattu. Avait-elle affaire à une créature du même type ? Mais pourquoi était-elle alors apparue après qu'elle ait formulé un vu ? Le prix à payer serait-il sa mort ?
Eira bondit par-dessus un rocher, puis contourna un fourré. A ce rythme-là, elle serait bientôt sortie du bois. Il fallait qu'elle se calme, qu'elle réfléchisse à un plan. Elle ne pouvait pas continuer à courir sans but. Elle ne pouvait pas fuir comme elle l'avait toujours fait. Elle devait d'abord retrouver ses compagnons pour aviser, et s'assurer qu'ils allaient bien. Ensemble, ils pourraient combattre le monstre.
Perdue dans ses pensées, son pied se prit dans une racine et elle chuta. La bête était presque sur elle. Levant ses mains, elle allait invoquer ses pouvoirs, puisant dans sa peur et sa fatigue. Mais tout disparut dans un tourbillon flou de couleurs.
***
‒ Votre Majesté ! Votre Majesté ! Réveillez-vous !
Elle ouvrit les yeux et se redressa, rencontrant le regard brun-vert de Farrah.
‒ Que... s'est-il passé ? balbutia-t-elle en passant une main dans ses cheveux emmêlés.
Il semblait troublé.
‒ Je... je ne sais pas, soupira-t-il. Je rêvais que j'étais poursuivi par une bête, puis tout s'est évaporé, et Aspen m'a réveillé en criant.
‒ J'ai fait le même rêve, avoua Eira.
Elle se tourna vers Aspen, couvert de griffures qui saignaient. Un liquide rouge gouttait de la lame de son glaive. C'est alors qu'elle réalisa qu'elle-même baignait dans son propre sang. Elle contempla l'entaille sur son bras avec confusion. Tout ceci n'avait pas été qu'un rêve ?
‒ J'ai tué la bête, annonça le brigand à la cantonade. C'est pourquoi j'ai été le premier à me réveiller.
‒ Je ne comprends pas, gémit Althea en frissonnant dans ses draps.
La pauvre était trempée de sueur, mais semblait indemne.
‒ Pourquoi a-t-on tous fait le même songe ? J'ai échappé à la créature en me réfugiant dans un arbre, mais...
‒ C'est parce que nous sommes dans le Bois du Songe, déclara Calida en secouant son épaisse chevelure noire. C'est un lieu bien étrange où les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être.
‒ Pourquoi ne pas nous avoir prévenus ? s'indigna Farrah. C'était donc un de vos pièges ?
La Fey haussa les épaules.
‒ Je ne vous ai rien dit car il ne s'agissait que d'une légende, rien de plus. Ha, et puis, vous étiez déterminés à prendre un raccourci.
Elle se tourna vers son frère.
‒ J'ai souhaité de devenir riche, et toi ? lui demanda-t-elle l'air de rien.
‒ J'ai demandé à pouvoir retourner un jour chez nous, murmura-t-il, songeur. A la Cour d'Aranya.
La reine se détourna de la conversation et se leva.
‒ Vous êtes blessé, dit-elle en posant sa main sur l'épaule d'Aspen. Laissez-moi panser vos blessures.
‒ Ce n'est rien, affirma-t-il. Occupez-vous d'abord de votre bras. La coupure pourrait s'infecter.
Eira lui jeta un dernier regard et s'approcha d'une des sacoches en quête d'alcool et de bandages.
‒ Nous ferons mieux de partir d'ici au plus vite, lança Aspen. Nous n'attendrons pas l'aube.
‒ Mais..., commença Calida, les sourcils froncés.
‒ C'est plus sûr ainsi, la coupa le jeune homme blond. Farrah, aide-moi à replier les couvertures.
***
Ils cavalèrent toute la journée, et établirent un nouveau campement le soir même, bien loin de la sinistre forêt et non loin d'un petit village rural. Cette nuit-là, Eira ne parvint pas à s'endormir, troublée par les évènements de la veille. Dans le ciel nocturne, la pleine Myrkr brillait sur la plaine d'un éclat presque aveuglant. Et si Calida était enfouie sous son édredon, roulée en boule, celle de Majira était vide.
Où avait-il bien pu passer ? La souveraine, toute envie de dormir évanouie, se leva et décida de partir à sa recherche. Elle fit le tour du camp, caressant au passage Lazuli qui la regardait de ses yeux brillants. Elle entendit alors un hurlement dans la forêt et se figea. Est-ce que la bête inconnue allait encore les attaquer ?
Elle fit quelques pas de plus et tomba sur une carcasse d'oiseau déchiquetée. Avant qu'elle n'ait pu pousser un cri, une main fut plaquée devant sa bouche. La reine se débattit, mais son adversaire était bien trop fort. Elle se retourna alors et aperçut Calida.
‒ Ne criez pas, reine des glaces, l'avertit-elle. Il ne faut pas réveiller les autres. Ce sont sans aucun doute les restes du repas d'un Lupin.
‒ Est-ce qu'il ne risque pas de venir nous déranger ? l'interrogea-t-elle.
‒ Je ne pense pas, avança la jeune Fey. Ce sont des bêtes intelligentes. Ils évitent de en général de se frotter à notre peuple.
‒ Au fait, où se trouve votre frère ? demanda Eira.
‒ Il souffre d'insomnies, expliqua-t-elle. Il a dû partir se promener un peu. Il ne vit pas très bien le fait que nous ayons dû fuir la Cour à cause de nos pouvoirs.
Elle marqua une pause.
‒ Vous savez, Majira était un dramaturge. Il a écrit de nombreuses pièces qui sont aujourd'hui célèbres. Et parfois, son imagination bouillonne encore en lui.
‒ Mais vous êtes devenus chasseurs de prime sur ordre de l'impératrice, n'est-ce pas ?
‒ C'était cela ou le bannissement, soupira Calida.
‒ Je comprends, fit doucement la reine. Quand j'aurais récupéré mon trône, je lèverai l'interdit qui pèse sur la magie dans mon royaume. Vous pourrez vivre en Bylur en sécurité.
Les deux femmes bavardèrent jusqu'à l'aube. Malgré le côté un peu bourru de son interlocutrice, Eira entrevit en elle une jeune femme admirable, qui pourrait peut-être devenir sa confidente au même titre que Lady Dolion.
Les dormeurs s'éveillaient lentement quand Majira sortit de la forêt, les vêtements en désordre et les cheveux ébouriffés. Fronçant les sourcils, Calida marcha jusqu'à lui en faisant des grands pas et se mit à le sermonner à voix basse. Eira tendit l'oreille, mais n'entendit que des chuchotements furieux.
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Frozen Tears
FantasíaLaissez-vous emporter par une réécriture de la reine des neiges dans la cour des Fey ! Dans le royaume gelé de Bylur, où la magie est interdite, les Fey règnent en maître. Froids et cruels, ils constituent la haute classe et dominent les humains. E...