‒ Attendez ! cria Aspen. Notre alliance tient toujours !
Farrah courut vers son ami et tâcha de trancher les lianes qui le retenaient prisonnier, sans y parvenir. Il jura tout bas. Eira se posta à ses côtés. Une brûlure légère s'étalait sur son bras gauche. La chasseuse fit un pas vers eux.
‒ Vous êtes comme nous ! s'époumona-t-il encore. Nous possédons la magie de la glace, et vous celle du feu !
‒ Comment ça, comme nous ? s'interrogea l'adolescent aux cheveux de feu. Il n'y a que la reine qui possède des pouvoirs !
‒ Vous êtes chassés en Bylur comme en Aranya pour vos dons, dit doucement Eira en frottant sa blessure. Joignez-vous à nous et je ferais un monde où les mages ne seront plus traqués.
L'homme sembla hésiter. De son côté, la jeune femme cracha :
‒ Ha ! Si je vous tue et vous livre aux soldats, il n'y aura plus de témoins pour nous dénoncer !
‒ Pensez donc à tout l'argent que vous rapportera une alliance avec la reine, lança Farrah d'un ton goguenard. Tandis que les gardes d'Eriknus vous élimineront sûrement pour éviter tout problème.
‒ Très bien, déclara la chasseuse. Notez bien que nous désirons une très grosse récompense.
Elle s'avança vers Aspen, surpris par ce revirement soudain, tira un couteau de sa ceinture et trancha ses liens. La lame s'enfonça comme dans du beurre.
‒ Mais... comment ? s'écria-t-il.
‒ Ceci est une liane de Medea, expliqua-t-elle. Seul une lame faite en acier d'Aziel peut en venir à bout.
La jeune femme sourit.
‒ Je m'appelle Calida, et voici Majira, mon frère jumeau.
‒ Je suis Aspen, se présenta le brigand. Mes compagnons se nomment Farrah et Althea Baldwin, et voilà la reine Eira Hjordis du royaume gelé de Bylur.
***
La reine se redressa sur sa couche. Qu'est-ce qui avait bien pu la réveiller au beau milieu de la nuit ? Elle se méfiait des deux Fey qui avaient rejoint leur expédition. Elle savait d'expérience que son peuple toujours prêt à planter un couteau dans le dos de leurs prétendus amis ne comptait pas d'alliés fiables. Est-ce que l'appât du gain était suffisant pour empêcher Calida et Majira de les trahir ?
Le petit groupe avait cavalé pendant toute la journée dans une forêt de pins, et avait établi leur campement non loin d'une petite rivière. Grâce à leurs nouveaux camarades, ils avaient traversé la jungle sans encombre en l'espace de quelques jours.
Eira scruta les corps allongés auprès d'elle. A cause de la chaleur étouffante qui régnait dans le pays, ils n'avaient pas jugé bon de dresser les tentes. Elle aperçut Farrah ronfler légèrement au milieu de ses couvertures en désordre, et discerna Aspen, tourné sur le côté, la main serrée sur son glaive. Althea, au sommeil d'ordinaire si profond, s'agitait, serrant son drap dans son poing. Les jumeaux étaient allongés un peu à l'écart. Un Elezaap volait au loin, portant sans doute un message en ville.
Elle avait la gorge sèche. Elle décida de se lever pour aller se désaltérer au fleuve. Ses pas écrasaient des aiguilles de pin et résonnaient dans le calme de la nuit. Un oiseau nocturne, sans doute en train de pourchasser une proie, poussa un cri strident. Enfin, elle vit la rivière devant elle, chantante et frétillante. Un ruban de brouillard gris dansait lascivement, s'enroulant autour des rochers éreintés par le courant. Elle s'agenouilla au rebord et porta l'eau fraîche à ses lèvres, étanchant sa soif.
Quelque chose crissa derrière elle et la reine se tordit le cou pour chercher la provenance du bruit.
‒ Aspen ? appela-t-elle. Est-ce vous ?
Le silence lui répondit. Eira haussa les épaules. Il s'agissait sans doute d'un animal, car ils n'avaient pas pu être suivis. Le matin même, Aspen avait examiné leur carte et décidé de prendre un raccourci à travers une forêt nommée « Le Bois du Songe ». Est-ce qu'elle aurait dérangé par mégarde un Rosanee endormi ? Ces créatures sauvages évitaient en général de se frotter aux Fey.
Elle tourna la tête vers la rivière et s'apprêta à se redresser, quand elle vit quelque chose bouger dans la brume. Une silhouette s'avançait dans sa direction, comme flottant au-dessus des flots. Il s'agissait d'une vieille femme vêtue de haillons. Des rides profondes marquaient son visage. Ses cheveux gris étaient piqués de fleurs, et elle était pieds nus. L'étrange apparition s'arrêta à quelques mètres de la reine, la jaugeant du regard. Elle tenait un lourd bâton de marche noueux dans sa main.
‒ Qui... qui êtes-vous ? bredouilla Eira.
La femme resta muette plusieurs instants, avant de lui répondre.
‒ Je ne suis guère plus qu'une vagabonde, à présent. Ou un esprit de la forêt, comme les disent les locaux.
La vieille femme ne semblait guère disposée à lui en dire plus.
‒ Et qui étiez-vous par le passé ? demanda-t-elle.
‒ J'étais une noble, dit-elle avec un sourire empli de nostalgie. Je vivais à la Cour de Bylur.
La souveraine sursauta.
‒ Pourquoi êtes-vous partie ? l'interrogea-t-elle encore.
‒ Pourquoi je suis partie ? Pourquoi êtes-vous partie, vous ?
‒ Je vous en prie, répondez-moi, la supplia Eira.
La vieille femme jouait avec elle, retournant les questions à l'envoyeur. Mais malgré ses réponses évasives, elle brûlait de curiosité à chacun de ses mots.
‒ Eh bien, disons que je recherchais la liberté. Le Palais m'étouffait.
Eira resta silencieuse. Si la vagabonde disait vrai, alors elle lui était semblable. Une Fey, exténuée par ses devoirs, qui a choisi de fuir son monde pour un autre. Comme Deidre.
‒ Je ressentais la même chose, murmura-t-elle. Cette envie de tout quitter, de tout laisser derrière soi...
La reine laissa sa phrase en suspens. Elle ne voulait pas trop en révéler, de peur que la vieille femme ne découvre sa véritable identité.
‒ J'aimerais tellement que tout s'arrange, soupira-t-elle.
‒ Quel est votre vu le plus cher, mon enfant ? la questionna la vagabonde.
Eira réfléchit un instant. Elle souhaitait de tout cur que cessent les hostilités entre son peuple et les humains. Mais cela, elle devait le réaliser elle-même. Elle en était capable. En revanche, une peur l'habitait.
‒ J'aimerais que tout les membres de cette expédition s'en sortent vivants, déclara-t-elle. Ce sont des amis chers à mon cur.
Elle s'attendait à ce que la noble déchue lui fasse une remarque, mais aucun son ne sortit de sa bouche. A la place, elle leva son bâton haut dans les airs et l'abattit sur le sol. Eira sentit la violence de l'onde de choc courir sous ses pieds.
‒ Bien, dit la vieille Fey. Maintenant, il faut que tu payes le prix. Il est le même pour tous.
La langue de brume s'épaissit, et elle disparut dans le brouillard. Quand celui-ci se dissipa, un monstre aux larges griffes, la gueule ouverte dévoilant des crocs jaunes se dressait devant elle.
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Frozen Tears
FantasiaLaissez-vous emporter par une réécriture de la reine des neiges dans la cour des Fey ! Dans le royaume gelé de Bylur, où la magie est interdite, les Fey règnent en maître. Froids et cruels, ils constituent la haute classe et dominent les humains. E...