Frozen Tears

Chapitre 9 : Mascarade

Déguisé en noble bylarien, Aspen fit un pas en avant dans la salle de réception. Le dos bien droit, le visage de marbre, il parcourut du regard l'assistance. Il aperçut alors sa cible : elle était assise sur son trône entre deux colonnes de glace, au fond de la galerie, et discutait avec deux hommes vêtus de redingotes richement brodées. Il serra les dents. Tous ces nobles qui assistaient à ce bal n'étaient en réalité là que par espoir de fonder une alliance avec le royaume de Bylur en épousant la nouvelle reine. Ainsi, ils consolideraient le pouvoir de leur province ou royaume.

Un valet l'interpella :

‒ Votre nom ?

‒ Vicomte Anansi de Sigrun, répondit Aspen.

‒ Son Excellence Lord Sigrun ! annonça-t-il.

Le jeune homme le salua d'un mouvement de tête, puis descendit une volée de marches et se fraya un chemin parmi les invités.

Il avait usurpé l'identité d'un fils de noble, qui s'était blessé à la cheville lors d'une partie de chasse. Son père étant gravement malade, il était certain que cette famille ne se rendrait pas au bal. Avec son groupe de voleurs, ils avaient tout minutieusement préparé. Althea avait même participé à l'aventure, servant de cavalière au jeune homme et tentant de lui apprendre la valse afin qu'il puisse jouer son rôle à la perfection et passer pour un Fey distingué.

Les murs sculptés dans la glace étaient ciselés de délicates spirales recouvertes d'or. Des vases de fleurs gelées étaient posés sur les tables, brillantes dans leur beauté éternelle. Une dizaine de lustres en cristal étaient alignés au plafond, luisant de mille feux. Mais focalisé sur la reine, son ennemie mortelle, il ne les remarqua même pas.

Une rage froide envahissait son cur. Il n'avait aucune once de pitié pour la souveraine, qui s'en était prise au village qui l'avait recueilli quand il était seul au monde. Il n'éprouvait que du dédain envers cette femme qui l'avait laissé pour mort au nom d'un raison inconnue. Mais il n'avait pas besoin de comprendre. Elle était implacable et sanguinaire. C'est sur cette certitude qu'il s'approcha d'elle et posa un genou à terre. La reine lui tendit sa main et il la baisa.

‒ Votre Majesté, les lumières de ce Palais font pâle figure à côté de vos traits gracieux.

Elle sourit, mais son sourire était faux.

‒ Vous êtes ?

‒ Le vicomte de Sigrun, pour vous servir, mentit-il.

‒ Enchantée. Comment va votre père ?

‒ Son état est stable pour le moment, improvisa Aspen, n'ayant aucune idée de la santé du comte Sigrun.

C'est alors que Eira se leva. Elle fit un geste de la main aux musiciens jugés sur une estrade, qui commencèrent à jouer une mélodie lente et entraînante.

‒ M'accorderez-vous cette danse ? s'enquit Aspen en s'inclinant devant la reine.

‒ Si vous le voulez, fit-elle en roulant des yeux.

Le jeune homme fronça les sourcils, puis se reprit. Il l'attrapa par la taille et la guida sur la piste de danse, la faisant tourner dans les airs.

Les volants de sa robe bleue semblaient flotter autour d'elle. Prenant garde à ne pas faire un faux pas, Aspen s'attarda sur le visage de sa cavalière. Elle avait un visage ovale et fin, une peau pâle, des yeux noirs qui semblaient perdus dans un autre monde. Elle était belle, mortellement belle. Mais elle était son ennemie.

‒ Je vais avoir besoin d'un bon livre après ça, l'entendit-il susurrer pour elle-même.

‒ Voyons, dit-il, est-ce que tous ces hommes qui se sont pressés pour vous voir ne vous suffisent pas ?

Eira sursauta.

‒ Je sais qu'ils ne désirent tous qu'une chose, mon pouvoir. Malheureusement pour eux, je ne m'intéresse qu'aux hommes... fictifs.

Elle rit doucement, d'un son clair et mélodieux qui ressemblait au chant d'un oiseau.

‒ Vous êtes bien difficile pour une reine sans réel soutien, répliqua-t-il.

‒ Et vous êtes bien cru pour un prétendant qui désire ma main, fit-elle.

‒ Qui a dit que je désirais vous épouser ?

‒ Que faites-vous donc ici, à danser avec moi, sans vouloir vous froisser ?

Il ne répondit pas.

‒ Vous devriez être honoré que je vous ai choisi comme cavalier pour ouvrir le bal, souffla-t-elle. Je sais que le fier comté de Sigrun compte de nombreux rebelles. Vous espérez renforcer votre pouvoir en devenant roi, n'est‒ce pas ?

Elle se pencha vers lui.

‒ Vous savez, souffla-t-elle, je ne m'amuse pas plus que vous ici. Voudriez-vous être mon fiancé afin que cesse cette mascarade ?

Aspen écarquilla les yeux, surpris par son audace.

‒ Vous désirez créer une fausse alliance avec Sigrun afin de débarrasser mon comté des rebelles et obtenir un soutien à vos côtés par la même occasion ?

La jeune femme lui décocha un sourire énigmatique.

‒ C'est bien cela, conclut-elle.

Il réfléchit un instant. Devait-il accepter sa proposition ? Ainsi, il pourrait l'isoler pour discuter des intérêts communs, et l'assassiner. Mais non, il devait s'en tenir au plan. Sinon, elle pouvait découvrir qu'il n'était qu'un imposteur.

Quelques temps plus tard, le morceau de musique se termina et les danseurs s'inclinèrent devant leur partenaire. 

Aspen conduisit Eira vers le buffet en la tenant par sa main gantée.

‒ Alors, demanda-t-elle, mon idée de mariage arrangé n'est-elle pas exceptionnelle ?

‒ Vous exagérez, soupira-t-il, désarmé par son sourire.

Il ne devait pas perdre de vue qu'il était là pour la tuer. Aussi belle qu'elle fût, la reine Eira n'était qu'une meurtrière.

A ce moment-là, un noble aux cheveux roux passa devant eux, un verre à la main, et trébucha, éclaboussant la souveraine de nectar de lune. Cette dernière poussa un cri. Les Fey autour d'eux se retournèrent.

L'homme se saisit brusquement d'un napperon posé sur la table et tenta d'éponger la robe de la souveraine. Elle le repoussa.

‒ Votre Majesté, je suis immensément confus... Que puis-je faire pour...

‒ Les excuses sont inutiles, ce qui est fait est fait.

Elle poussa un long soupir.

‒ Vous devriez aller vous changer, indiqua Aspen. Je vais vous accompagner jusqu'à vos a...

‒ Non, ça séchera tout seul, le coupa-t-elle sèchement.

Elle s'éloigna. Le jeune homme se tourna vers son ami.

‒ Qu'est qu'on fait maintenant, Farrah ?

‒ On improvise !