La tête basse, Aspen galopa jusqu'à son campement. Arrivé à la falaise, il sauta en bas de sa monture et la caressa tristement.
Un feu brûlait au centre des rochers, entouré par quelques tentes colorées. Quelques hommes se réchauffaient devant les flammes en jouant aux dés ou aux cartes. D'autres Nandreth étaient couchés à même le sol. Les yeux alertes, ils observaient les allées et venues dans le petit camp.
Un jeune homme roux surgit d'une caverne cachée dans l'escarpement, un grand sourire lui barrant le visage.
‒ Aspen ! s'écria-t-il. Alors comme ça ils ont fait une grande fête au village avec un feu de joie ? Sans même nous inviter ? Tu nous as ramené quelque chose, j'espère ?
Le chef des brigands évita le regard de son ami, dont le sourire fondit comme neige au soleil.
‒ Oh non, murmura-t-il. Ne me dis pas qu'il s'est passé quelque chose d'horrible ?
Aspen se dirigea vers Farrah et posa une main sur son épaule.
‒ Les soldats Fey ont brûlé le village et les navires en représailles. Ta mère y a laissé la vie. Je suis désolé, mon vieux.
‒ Et Althea ?!
‒ Ta sœur va bien, ne t'inquiètes pas. Akiva et Wattan s'occupent d'elle.
Farrah se laissa tomber à terre et enfouit ses mains dans la neige, une lueur de tristesse brillant dans ses yeux. Accablé par le chagrin, il ne sentait pas le froid qui lui mordait les doigts.
‒ La pauvre, chuchota-t-il. Je n'aurais jamais dû la laisser seule avec Mère.
Il marqua une pause.
‒ Et puis, reprit-il, comment les habitants vont faire pour reconstruire le village et payer les impôts s'ils n'ont plus les bateaux de pêche ? Nous n'aurions jamais dû intervenir...
Aspen fronça les sourcils.
‒ Ne dis pas des bêtises, le gronda-t-il comme un petit enfant. Ce n'est pas notre faute, mais la leur. Nous vivons sous la domination des Fey depuis trop longtemps. Cela doit se terminer.
Il aida son ami à se relever.
‒ Tu as raison, fit Farrah en passant sa main dans ses cheveux roux. Nous devons nous venger. Mais que pouvons-nous faire, à notre échelle ? Continuer à attaquer les convois de Fey ou les percepteurs des impôts ? La prochaine fois, ils se contenterons pas de brûler le village, mais de tuer les habitants les uns après les autres, jusqu'au dernier.
‒ C'est vrai, affirma Aspen. C'est pourquoi nous allons attaquer le cerveau des opérations. Celle qui tire les ficelles dans l'ombre et qui a ordonné cette tuerie.
‒ La reine Eira ?
‒ En effet. Il y a un bal la semaine prochaine pour fêter son couronnement. Nous allons nous y infiltrer... et la tuer.
***
La reine se promenait dans une des cours intérieures du Palais de glace, le bras passé par-dessus celui de Lady Dolion, qui avait insisté pour qu'elle sorte de ses appartements. Une demi-douzaine de dames de compagnies les suivait dans leur sillage en bavardant.
Alors qu'Eira observait un délicat parterre de perce-neige, humant leur odeur presque imperceptible, Lady Lyorna Kari s'écria d'une voix haut perchée :
‒ Vous devriez penser à vous marier, Majesté ! Cela renfoncerait votre pouvoir au sein du royaume.
‒ Et vous offrirez un héritier à la maison régente Hjordis ! renchérit Lady Kyra Heimdall en trépignant.
La jeune femme enjouée aux épaisses boucles rousses indomptées était l'héritière du comté de Jormungand, à l'est de Bylur. Une tache de naissance recouvrait tout le côté droit de son visage.
‒ De plus, vous pourrez nouer des alliances avec d'autres pays, ajouta posément la marquise de Meridia.
‒ Mieux vaut épouser un duc ou un marquis local, les prétendants ne manquent pas, fit remarquer Lady Monia Fraedis en pinçant les lèvres. Puis-je même vous suggérer votre cousin le duc de Reginn.
Les deux femmes se jaugèrent avec un regard glacial, un sourire faux aux lèvres.
‒ Mais naturellement, finit par lâcher Lady Ulyana de Valda. Seulement le royaume aurait besoin d'une union avec une puissance extérieure.
‒ Je ne ressens pas encore l'envie de prendre un consort, dit Eira pour couper court à la discussion.
‒ Vous avez raison, vous avez tout votre temps, lui assura Lady Hati Vetle de Sirii.
Les autres dames, à l'exception de Lady Kyra, la fusillèrent du regard, mais elle les ignora. Eira lâcha le bras de sa suivante et s'éloigna de quelques pas. Elle ne supportait pas ces querelles futiles, et aurait nettement préféré passer la matinée dans sa chambre. Depuis un certain temps, elle subissait les assauts de sa Cour qui la poussaient à prendre un époux. La reine ne se sentait pas prête, pas plus que de porter un héritier. Elle soupira en songeant à tous ces ancêtres qui avaient accompli leur devoir et endossé leurs responsabilités royales. Tous ces noms qui faisaient désormais partie de la légende pesaient sur ses frêles épaules. Elle ne cessait de douter. Était-elle seulement à leur hauteur ?
Elle caressa une fleur pâle qui surmontait une branche alourdie par la neige. A cet instant, le duc de Reginn surgit devant elle, accompagné d'un Fey avec un petit bouc au menton. Ils se saluèrent.
‒ Votre Majesté, votre beauté ferait honte aux lumières de ce Palais.
‒ Insinuez-vous que mon Palais soit piètrement illuminé ? le taquina Eira en retenant un sourire.
‒ Oh non, bien entendu que non, je vous faisais juste remarquer à quel point vous êtes rayonnante. Puis-je vous présenter Lord Alva, un artiste dont je suis le mécène. Je l'ai mandé afin qu'il puisse peindre votre portrait officiel.
‒ Ce sera un honneur, déclara la souveraine en inclinant la tête vers le peintre.
***
Assise sur son trône, Eira gardait les yeux baissés au sol tandis que ses servantes arrangeaient ses cheveux, les piquant de perles. Elle échangea un sourire avec Lady Dolion, qui disposait élégamment sa traîne d'obscurité autour d'elle, de façon à ce que l'on voie son écusson. En face, le peintre avait établi sa toile vierge sur un chevalet, et triait ses pinceaux à l'aide de ses assistants.
‒ Nous pouvons commencer, si vous êtes prête, Votre Majesté, annonça l'artiste.
Elle corrigea sa posture et exhiba son sceptre et son orbe, arborant le visage de marbre caractéristique des Fey. Elle tâcha de cacher son ennui et s'efforça d'afficher un regard froid, dur, cruel.
‒ Votre reine est toujours prête, Lord Alva, articula-t-elle.
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Frozen Tears
FantasyLaissez-vous emporter par une réécriture de la reine des neiges dans la cour des Fey ! Dans le royaume gelé de Bylur, où la magie est interdite, les Fey règnent en maître. Froids et cruels, ils constituent la haute classe et dominent les humains. E...