Chapitre 40 : Sanctuaire

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Calida surgit brusquement des entrailles du navire en se frottant les yeux. Ses longs cheveux noirs étaient tout emmêlés.

‒ Ha ! Qu'est-ce que c'est que ce raffut de tous les diables ! s'exclama-t-elle tout en s'étirant. Y'en a qui dorment, par ici !

Elle se figea en apercevant la scène qui se déroulait devant elle. Aspen imaginait bien le tableau. Un garçon vêtu de haillons tachés était agenouillé à terre devant la reine, serrant un bout de sa robe dans son poing. Et lui-même se tenait en retrait, son arme en main, prêt à frapper.

‒ Vous avez un problème avec ce passager clandestin ? lança la jeune Fey. Vous voulez que je m'en occupe, Dame Eira ?

Le mousse poussa un glapissement en voyant les yeux bridés de Calida.

‒ Les aranyans ! Ils nous ont trouvés !

Il se releva, tâchant de protéger la reine de son corps rachitique.

‒ Calida est de notre côté, déclara cette dernière. Tu n'as rien à craindre.

La jeune Fey serra les dents. La souveraine lui résuma la situation.

‒ Je vais te dire une chose, petit, souffla Calida. Quand je retournerais en Aranya, je tâcherais de retrouver ton frère.

‒ Vous me le promettez ?

‒ Je t'en fais la promesse.

‒ Vous voulez retourner à la cour de l'impératrice Bela ? s'étonna Eira.

‒ Oui, répondit-elle. Là-bas, je pourrais jouer les espions et empêcher la guerre qui se profile.

***

La nuit d'après, alors qu'Aspen somnolait devant la cabine de la reine et que l'aube semblait toute proche, il entendit Jarek crier. Il se redressa en baillant sans lâcher son glaive.

‒ Terre en vue ! criait le jeune homme depuis le nid-de-pie.

Le brigand courut vers le bastingage, saluant au passage Maveth, membre du Kanaloa et navigatrice du Walphire. L'île de Jayla n'était encore qu'un petit point noir à l'horizon. Mais à mesure qu'ils s'approchaient, elle devenait plus distincte. Soudain, le petit bout de terre parut s'illuminer par-derrière. Le soleil se levait derrière l'îlot rocheux, hachurant le ciel de couleurs.

Désireux de partager cette peinture céleste avec Eira, il se retourna pour la quérir. Mais elle s'approchait déjà, sublime dans sa robe saphir aux manches brodées de fils d'or. La jeune femme était accompagnée de Calida et d'Althea.

Un sourire s'étira sur ses lèvres. Elle l'imita, et sa chaleur se répandit dans son regard. Aspen songea qu'elle était vraiment magnifique et qu'elle semblait irradier de l'intérieur. A côté, les rayons dorés du soleil semblaient bien pâles et ennuyeux, comme de vulgaires pâquerettes au milieu d'un bouquet de lys bleus.

Calida sourit à son tour d'un air sans équivoque et tira Althea par le bras.

‒ Viens, j'aimerais que tu m'aides à repriser une robe, dit-elle.

‒ Mais voyons, Dame Calida, vous n'en avez aucune, protesta la jeune fille.

‒ Ne pose pas de questions et suis-moi, rétorqua l'intéressée en s'éloignant d'un pas vif.

Aspen secoua la tête, amusé. La Fey souhaitait les laisser seuls.

‒ Vous avez bien dormi ? s'enquit-il.

‒ Mieux que vous, on dirait, se moqua la reine.

‒ Il fallait que je reste éveillé, expliqua le brigand. Malgré le fait que nous avons inspecté les moindres recoins du navire, je ne pouvais laisser des intrus vous faire du mal.

‒ Vraiment ? Vous tenez donc à moi ? le taquina-t-elle.

Il rougit et se détourna.

‒ Je cherche juste à protéger nos intérêts communs, marmonna-t-il.

‒ Si vous le dites.

Le Walphire jeta l'ancre dans la baie de Jayla et ses passagers mirent pied à terre. L'île était sauvage, avec ses monts escarpés, ses arbres millénaires et ses Eoknis qui sautillaient de branche en branche. Aspen laissa son regard se perdre dans le feuillage luxuriant ondulant au rythme du vent.

La générale Nakoma descendit à son tour, traversant la plage et se dirigeant vers l'ouest. Elle semblait en grande conversation avec la reine, et le jeune homme en capta quelques bribes.

‒ Bien que Jayla ait été désignée par la république de Trivok comme étant un sanctuaire naturel, l'île abrite une base militaire inoccupée. C'est là que nous allons loger durant toute la durée de l'entraînement de l'escadron.

Vêtu de vêtements de marin trop larges, Blaiz les suivait en marmonnant des paroles inaudibles. Aspen fronça les sourcils. Il espérait que le mousse ne prépare pas de mauvais coup.

***

Tandis que la générale et la reine de Bylur se rendaient à la caserne, suivis de Jarek, Maveth et Majira qui déchargeaient leurs affaires, Aspen et Calida furent chargés d'explorer les environs afin de s'assurer que l'île était bien inhabitée. Althea trotta derrière eux, désireuse d'explorer les environs.

Le petit groupe amorça le tour du petit bout de terre. Ils escaladèrent l'étendue rocheuse escarpée en prenant garde où ils mettaient les pieds. En effet, la montagne recelait de petites cavités et de cavernes où se cachaient des Bektas aux cornes immaculées qui bêlèrent en les apercevant.

Du haut de leur promontoire vertigineux, ils pouvaient sonder l'île : la forêt s'étendait à perte de vue comme un labyrinthe végétal. Au loin, les plages au sable fin réfléchissaient la lumière. Un vieux temple en ruines se dressait non loin de la caserne.

Aux abords de midi, alors que le soleil était haut dans le ciel, ils débouchèrent dans une vallée fleurie. Des Biz butinaient, des Maripa voletaient autour des fleurs à l'aide de leurs ailes chatoyantes.

‒ Nous allons nous arrêter ici pour déjeuner, annonça Calida.

Elle déplia une couverture sur le sol et en lissa les plis. Puis, elle ouvrit son sac et en sortit des encas. Derrière elle, Althea poussa un cri de joie, retira ses bottines à la hâte et s'élança sur l'herbe de la prairie. Effrayés, les Maripa s'envolèrent d'un même mouvement, battant leurs ailes colorées à toute vitesse. Aspen leva la tête pour suivre leur progression : le ciel bleu s'était teinté d'une multitude de points colorés qui tournoyaient dans une nuée de pollen doré.

Althea écarta les bras et se mit à danser avec des petits pas sous la pluie d'or. Les pans de sa robe se balançaient en rythme. Ses yeux plus verts que le feuillage des arbres brillaient de mille feux. Calida l'encouragea en tapant dans ses mains.

Soudain, le brigand capta le regard de la jeune fille. Une ombre de tristesse passa dans ses prunelles. Elle faisait de son mieux malgré la perte de son frère aîné. Il s'en voulut de ne pas avoir réussi à le sauver. Il s'agissait tout de même de son meilleur ami. Se sentant coupable d'être toujours en vie, il se détourna.

Sur le chemin du retour, Calida attrapa le bras du jeune homme. Althea trainait en arrière en chantonnant, légèrement somnolente.

‒ Pourquoi est-ce que vous avez repoussé Dame Eira ? dit-elle sans détour. Il s'agit tout de même de votre fiancée !

‒ Est-ce la reine qui vous a raconté cela ? s'étonna Aspen.

La jeune Fey redressa le menton.

‒ Non, mais j'ai bien vu comment elle vous évitait après que je vous ai laissés seuls.

Le brigand se renfrogna.

‒ Ce que je dis ou fais ne vous regarde pas.

‒ Ha ! Mais bien sûr, répliqua-t-elle, acerbe. Je parie dix couronnes bylariennes que vous regrettez vos paroles.

‒ Mêlez-vous de vos affaires, Dame Calida.

Cette dernière haussa les épaules et se laissa distancer pour rejoindre Althea. Aspen soupira et prit la tête du petit groupe.

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