Elle est sa brûlure, il est sa rédemption.
Elyana est une jeune femme écorchée par le deuil. Depuis que sa meilleure amie a été assassinée sous ses yeux, elle n'a de cesse de traquer les meurtriers. Devenue l'incarnation de la vengeance, elle ne rec...
Je me réveille en sursaut, l'esprit en vrac. En relevant la tête, je constate que je suis dans la salle de dégustation de la distillerie. J'effleure ma joue curieusement collante puis remarque la bouteille de whisky renversée sur la table.
Shit ! Qu'est-ce que j'ai foutu ? me demandé-je, en grimaçant à cause des élancements dans mon crâne.
Le corps alourdi par l'ivresse, je mets plusieurs minutes avant de me lever de la chaise en fer. Les muscles tortueux je m'étire pour tenter d'adoucir leur tension. Le mouvement sec déclenche une salve de douleur sur les tempes.
Saleté d'alcool écossais.
Boire pour oublier n'était pas la meilleure de mes idées.
J'essaye de me remémorer ma venue dans ce local, en vain, le whisky doit parcourir mes veines. Je fusille du regard l'objet de ma souffrance, couché sur la table. Si je me concentre, j'aperçois presque son sourire de satisfaction sur le verre ambré.
Non, définitivement, je suis toujours sous son emprise.
Dépité, je me réinstalle sur la chaise.
Pendant de longues minutes, je reste prostré, les yeux sur la fautive qui m'a mis dans cet état. Finalement, mon esprit finit par s'éclaircir, et la première image qui me vient est une petite brune.
Encore elle. Toujours elle.
Je me souviens maintenant de la raison de mon enivrement ; James, Elyana, sa confession.
Ai-je vraiment cru que l'éthanol allait m'empêcher de penser à l'épisode de la chambre ?
Abruti.
Je n'ai rien éclipsé de ma tête, et en bonus, j'ai une cuite de tous les diables.
Les doigts crispés sur les cuisses, je tente d'ignorer la sensation de malaise qui vient étreindre mon cœur.
A-t-elle dit la vérité concernant mon frère ?
C'est là que je remarque le courrier sur le sol à côté de la table. Je ramasse la lettre chiffonnée de James. J'ai eu beau la relire des dizaines de fois la nuit dernière, je n'ai pas réussi à déceler les indices. Je la connais par cœur, qu'espérais-je découvrir de neuf ?
En dépliant le papier, je ne résiste pas à parcourir des yeux le passage qui la concerne.
... Ma disparition est inévitable, Bastian. Elle me cherche. Elyana White.
Elle est déterminée. Sin a disparu, maintenant, Rory se sent suivi. Ce sera bientôt mon tour, j'en suis convaincu. Au plus profond de moi, je le ressens, j'aperçois déjà la faux de la mort me frôler.
Je ne suis pas capable de vivre avec ça sur la conscience. Ça me bouffe, tu comprends. Je ne peux plus faire comme si tout allait bien, alors que c'est un mensonge.
Pas après tout ce qu'il s'est passé.
Pardonne-moi, Bas',
Ton frère pour toujours.
Je grogne de frustration.
Je n'arrive pas à imaginer James faire toutes ces choses. Un meurtrier et un violeur. C'est impossible. Il n'a jamais été violent ni cruel. Pourquoi devrais-je croire les paroles d'une telle femme plutôt que celles de mon frère ? Et pourtant, maintenant que je suis davantage lucide, je constate bien que ses écrits peuvent avoir un tout autre sens.
Et s'il ne parlait pas de harcèlement, mais d'une situation qu'il regrette, un truc qu'il a fait, quelque chose de mauvais. Très mauvais.
James, qu'est-ce que tu souhaites me dire à travers cette lettre ?
— Ah ! T'es là, j'ai cru que j'allais devoir contacter les autorités. Je te cherche partout, Brigand.
Je me détourne du courrier pour croiser les prunelles bleutées d'Henry.
— Est-ce que ça va, Bastian ? me questionne-t-il soudainement soucieux.
Que puis-je répondre ? Que je me sens dans un étau, enfermé entre ma raison et mes sentiments. Effrayé par ce que je peux découvrir sur la face sombre de mon frère ?
— Qu'est-ce que tu veux ?
L'attaque. Mon seul rempart face à tout ce mélange d'émotions. Encore une fois, je suis injuste envers mon ami, mais c'est comme un réflexe de défense que je ne contrôle pas.
Son soupir las retentit dans la pièce.
— Elle est partie. Ton précieux Kitten a quitté le domaine hier soir.
Je ne prends pas garde à sa provocation, je le mérite.
Ce qui me choque le plus, c'est son annonce.
Elyana s'est enfuie.
Toujours assis, je me prends la tête dans les mains, tirant sur quelques mèches au passage.
J'assimile la nouvelle comme un uppercut dans la mâchoire.
Je n'ai pas eu le temps de...
De quoi, au juste ?
Peut-être lui avouer que je regrette mon comportement dans cette chambre, et encore plus de l'avoir piégée à l'intérieur. C'était carrément borderline.
Je réalise maintenant qu'Elyana a été une bouffée d'air frais dans cet endroit, une catharsis de mes sentiments refoulés après la mort de James. En quelque sorte, elle m'a réanimé, éveillant la moindre parcelle de mon corps et de mon cœur.
Pourtant, une pensée insidieuse se glisse dans mon esprit : elle m'abandonne, comme James.
Je secoue la tête, impuissant face au chemin que prend mon cerveau.
Est-ce que je suis réellement en train de ressentir un manque ?
Henry interrompt ma réflexion en posant sa paume sur mon épaule.
— C'est mieux comme ça, finit-il par formuler avec un air contrit.
Ses mots me font vriller.
— Ferme-la, Henry. Je n'ai pas besoin de tes sermons ! craché-je à la fois énervé et bouleversé.
Je ne désire pas entendre qu'il avait raison, je souhaite juste écouter le silence. Rien d'autre n'a d'importance. Parce que quelque part entre mon obsession de vengeance et ma peine face à la mort de James, je crois que je me suis attaché à un petit chaton.
Henry soupire, sans émettre la moindre objection. Il reste cependant avec moi. Tous les deux dans l'obscurité, nous profitons de la tranquillité de la distillerie.
Est-ce le commencement d'un nouveau voyage de vie ou l'achèvement d'une route déjà parcourue ? Je n'ai pas encore tranché sur la question.
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