La Promesse brisée

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Cette nuit-là, quelque chose d’inquiétant planait dans l’air. J’avais huit ans, et mon oncle, Da Shu, venait de rentrer, très tard, d’un endroit que j’ignorais. Depuis l’après-midi, YeYe (爺爺) affichait un air furieux. Les servantes chuchotaient dans les couloirs, mentionnant un mariage arrangé avec la fille de la deuxième famille la plus riche de la ville, un moyen d’unir deux puissantes lignées.

Des éclats de voix traversaient les murs épais de la maison. Mon oncle criait, refusant fermement cette alliance. « Je n’ai pas besoin d’un mariage arrangé pour bâtir ma propre voie, ni pour renforcer l’empire de la famille ! » affirmait-il, une flamme de rébellion dans la voix. Jamais je ne l’avais entendu parler avec une telle rage.

YeYe n’était pas de cet avis. Sa voix, d’ordinaire posée, résonnait de colère. « Tu oses refuser ? Moi qui t’ai sauvé de la rue comme un chien errant, qui t’ai donné un foyer, un avenir… Je te déshériterai si tu ne respectes pas ma volonté ! » Ces mots s’abattirent sur mon oncle comme un couperet, mais il resta silencieux, le regard dur.

Voyant mon grand-père lever la main pour le frapper, je ne pus me retenir plus longtemps. Je me glissai entre eux, levant les bras pour protéger Da Shu. « Arrête, YeYe ! S’il te plaît, laisse-le ! » Mais mon grand-père, dans la fureur du moment, me heurta accidentellement. Je sentis un choc violent, et le monde s’effaça autour de moi tandis que je tombais, inconsciente.

Quand j’ouvris enfin les yeux, le soleil baignait la pièce de lumière. Mon oncle se tenait à mon chevet, l’air soulagé, mais ses yeux trahissaient une inquiétude profonde. « Docteur ! Elle se réveille ! » cria-t-il, attirant l’attention de tout le monde dans la maison. YeYe entra précipitamment, la mine décomposée, murmurant des excuses, le regard brisé. « Poupée… Je suis tellement désolé… » disait-il, les mains tremblantes.

Pendant quelques jours, ils furent aux petits soins pour moi, me traitant avec une douceur inhabituelle. YeYe et Da Shu faisaient de leur mieux pour combler mon moindre désir, comme si un fragile équilibre venait d’être brisé et que, par leur affection, ils cherchaient à panser cette blessure invisible.

Pourtant, peu de temps après, un soir en rentrant de l'école, j’ai senti une inquiétude sourde. Da Shu m’avait promis de m’emmener manger une glace, mais ce soir-là, il n’était pas là. J’ai cherché partout, demandant aux femmes de chambre, au jardinier, même à mon grand-père, mais personne ne répondait. Il était introuvable, comme s’il s’était évaporé.

Dans ma chambre, je trouvai une boîte posée sur mon lit. À l’intérieur, une peluche douce et quelques bonbons, mes préférés, ainsi qu’une lettre, écrite d’une main rapide mais tremblante.

> "Ma Petite Poupée,

Il est temps pour moi de partir. Je te souhaite d’être toujours heureuse et de sourire, quoi qu’il arrive. Sois forte, ne laisse personne t’atteindre. Je suis désolé de ne pas être là pour te voir grandir, mais il me faut créer mon propre empire, loin de tout cela.

Prends soin de toi.

Da Shu."

Les mots brouillés par mes larmes, je relus la lettre encore et encore, espérant y trouver une explication. Un cri s’échappa de mes lèvres, un cri de douleur et de trahison. Je courus vers YeYe, le cœur en miettes, l’accusant avec rage. « C’est de ta faute ! Je te déteste ! »

Mais au lieu de se défendre, mon grand-père me serra dans ses bras, en silence, avec une tristesse que je ne lui avais jamais vue. Il savait. Il savait que son obstination avait poussé Da Shu à partir.

J’ai mis des années à me remettre de ce départ brutal. L’absence de mon oncle laissait un vide que rien ne semblait pouvoir combler. J’avais perdu celui qui m’avait appelée “Petite Poupée”, celui qui me protégeait, celui qui m’aimait sans condition. Da Shu m’avait abandonnée. Je l'avais attendu, chaque jour espérant qu'il reviendrait, mais le temps me prouva que cette attente était vaine.

Après mon père, ce nouvel abandon devint une blessure que je m'habituai à porter.

Mon oncle et moi ( da shu)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant