Quand j'avais cinq ans, je me disais sans arrêt que mes parents, mon frère et moi serions ensemble pour toujours. J'étais sûre que rien ne pourrait jamais nous séparer et que nous étions la famille la plus heureuse et la plus unie de toutes les autres. Chaque journée était réussie. Il n'y avait pas de disputes, de problèmes ou de complications. Je vivais sur un petit nuage, me disant que j'étais la petite fille la plus chanceuse du monde, et j'avais la sincère conviction que je l'étais vraiment. Je ne pouvais pas dire que mon enfance avait été difficile parce que ce n'était pas le cas. J'avais du avoir la plus belle enfance que je n'aurais jamais pu imaginer. Celle que les enfants malades n'ont pas. Celle que les enfants orphelins veulent. Celle que les enfants plongés dans la misère envient plus que tout. J'étais tellement heureuse que je ne me rendais pas compte du mal que la vie, le destin et la fatalité pouvaient apporter en un claquement de doigts.
Et c'est ce que j'ai compris à mes seize ans. Jusqu'ici, ma vie était parfaite. Mais il fallait croire que je n'allais pas échapper à la règle. Le destin avait du se dire « Tiens ! Elle a échappé à ma vigilance ! Pourquoi est-ce si facile pour elle ? ». Et paf ! J'étais soudainement devenue comme les autres adolescents à problèmes : seule, effondrée et inanimée qui en veut à la Terre entière.
La vérité, c'est que c'est plutôt à moi que j'en voulais. Si je n'avais pas insisté ce jour-là à aller au restaurant pour fêter la promotion de mon père, rien de cela ne serait jamais arrivé. Notre voiture n'aurait jamais percuté ce camion qui avait grillé un stop et mes parents ne seraient jamais morts. Ils ne m'auraient jamais laissé seule avec mon frère. En partant pour le paradis, ils ont pris mon bonheur par inadvertance et j'avais peur de ne le revoir que quand je les aurais rejoins.
J'y avais beaucoup pensé d'ailleurs. Partir. Fuir. Choisir la facilité. C'était dans ma nature après tout. Mais je ne pouvais pas leur faire ça. Ni à eux ni à mon frère. Même s'il était plus âgé que moi, ça ne voulait pas dire que tout était plus facile pour lui, au contraire. Quand mes parents se sont envolés, il a plongé dans l'alcool et la drogue, vivant la nuit et dormant la journée. Il était devenu une bête, un animal qui ne cherchait pas à améliorer sa vie. Il survivait, et pour lui, c'était suffisant.
Mais pendant que mon aîné ne jouait pas son rôle de chef de famille, je devais m'occuper de tout ce qu'on aurait dû faire ensemble. Je devais faire les courses, le ménage, payer les factures et aller au lycée. Encore. Et toujours. C'était un cercle sans fin, un serpent qui s'enroulait un peu plus autour de mon cou chaque jour qui passait. Comment m'en sortir ? Fallait-il que je fasse comme mon frère et que je me contente de survivre ? Non, je ne pouvais pas.
Et c'était là que j'avais compris qu'il fallait que je me batte pour vivre et non survivre. Mais comment mène-t-on un combat si on est seul, désarmé, incompétent et immature devant une armée de problèmes qui ont eu affaire à beaucoup plus effrayant que moi et qui ont gagné une multitude de batailles ?
J'avais tout de même une petite arme, une botte secrète. Quelque chose qui me permettait de tenir le coup et de m'aider à me lever tous les matins. Et surtout, quelque chose qui me motivait pour aller en cours. L'accident de mes parents étant arrivé pendant les vacances d'été, je n'avais eu aucun problème auparavant pour passer en terminale. Me sentant proche des lettres et des langues, j'étais en filière littéraire. J'avais choisi mes spécialités et j'avais hâte de les découvrir. Mais, à présent, je n'avais plus du tout envie de ça. Je voulais juste que le cours dans lequel j'étais se termine rapidement, pour que je puisse aller m'armer afin de mener cette bataille.
Ce lundi, quand l'heure du déjeuner arriva et que l'horloge sonna, je me précipitai dehors et me dirigeai vers la salle de musique. Même si je détestais ce lycée, il fallait bien avouer qu'il était très bien équipé. Il avait une salle de musique absolument géniale. C'était plutôt une salle de spectacle, avec de nombreux sièges. Dés qu'on rentrait, on était dans une petite allée encadrée de rangées de fauteuils rouges. Puis, en la descendant, nous arrivions devant la scène qui était un peu plus en hauteur. Dessus, un piano faisait la loi et de nombreuses croix de scotch au sol indiquaient la présence de spectacles s'étant joués ici. J'aimais particulièrement cette salle parce qu'elle avait un superbe acoustique et que j'étais sûre d'être seule ici. Le principal avait été très gentil et m'avait donné les clés. J'étais la seule à pouvoir y accéder, sauf pendant les cours de théâtre ou de chorale. Mais à l'heure du déjeuner, tous les jours, je pouvais être sûre d'être au calme ici. Je m'asseyais alors au bord de la scène, faisant face aux centaines de sièges, et je mangeais mon sandwich frais du matin. Puis, je m'asseyais devant le piano et je laissais mes doigts filer sur le clavier. Je prenais donc souvent des feuilles où des portées étaient dessinées et je composais, inscrivant chaque petite note grâce à mon crayon à papier. De nombreuses feuilles étaient déchirées mais il me restait quand même de bonnes choses.
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Amour anonyme - EN RÉÉCRITURE (coming soon)
Storie d'amoreEmma ne vit plus, elle survit. Chaque jour est un combat psychologique pour cette jeune femme orpheline. Lui croque la vie à pleine dents. Joueur et provocateur, il profite de son adolescence. Ces deux opposés ont pourtant une même passion qui ryt...