Chapitre 1. Nouveau job, nouveau départ.

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Je suis si tendue ! Je déteste les premiers jours. Ceux où l'on doit faire bonne impression à des gens qui ne nous connaissent pas, et vont nous juger en deux secondes en présumant savoir d'instinct qui nous sommes. Mais j'ai eu le job, et c'est le principal. Je suis faite pour ce travail, et ne pas le reconnaître serait une erreur de leur part. Je suis une battante. C'est ce que l'on fera graver sur ma pierre tombale. Rose Lewis, battante, expérimentée, travailleuse acharnée.

D'accord, je sors d'une très mauvaise passe, un détail que personne n'a besoin de savoir. La vie privée est faite pour rester privée, non ?

Je jette un coup d'oeil à mon miroir de poche pour constater que mes yeux ne sont ni rouges, ni enflés. J'ai pleuré tellement longtemps ma pauvre maman qu'il y avait de quoi être inquiète. C'est vrai qu'elle me manque, que je me sens seule au monde sans elle, cela-dit j'ai des circonstances atténuantes. Ma mère nous a élevés seule, ma maudite sœur et moi et - contrairement à cette dernière - j'ai la sensation de lui devoir tellement !

Son décès soudain me pèse énormément, pourtant ce n'est pas cela qui va m'arrêter. J'ai besoin de ce travail. J'ai un appartement que j'adore et dont je dois payer les charges. Qui plus est, j'aime trop dépenser pour envisager me tourner les pouces. Sans compter que je perdrais très certainement la raison au bout d'une semaine, et finirais en pleine crise d'hystérie à la vue de tous. Ce qui constituerait pour ma chère sœur, Morgan, une sacrée cartouche en poche, pour me ridiculiser toute la vie durant.

J'ai toujours eu dans l'idée que je n'avais besoin de personne pour avancer dans la vie. Aussi, aujourd'hui, encore une fois, je vais montrer de quoi je suis capable et convaincre le patron de Carter-Média qu'il a bien fait de croire en moi ! Bien évidemment, ma sœur va encore dire que je ne suis qu'une égoïste qui ne se soucie que d'elle-même. C'est peut-être vrai... Après tout, je n'ai pas la science infuse, je suis humaine, et comme tout un chacun, je fais des erreurs.

Cela dit, aux dernières nouvelles, c'est quand même moi qui ai accompagné maman jusqu'à la fin. Je lui ai lu son roman favori, j'ai payé ses factures, j'ai nettoyé sa maison, je l'ai toilettée, et je l'ai préparée aux derniers sacrements. Néanmoins, je ne m'en suis pas acquittée pour être dans les petits papiers de ma sœur aînée, qui n'est capable, comme toujours, que de se regarder le nombril et de critiquer la terre entière.

Tout ça, c'était pour maman, parce que je l'aime plus que tout au monde, et qu'elle méritait qu'on la chérisse jusqu'à son dernier souffle. Elle m'a tout donnée, depuis le jour de ma naissance à la répartie cinglante que j'ai aujourd'hui... la plupart du temps. Avec elle, c'est une partie de moi qui s'est envolée à jamais, et si cela fait de moi une créature faible et insipide, alors tant pis. J'espère juste garder son souvenir intact encore longtemps.

Et briller de mille feux aujourd'hui !

Comme toujours quand je suis anxieuse, mes pensées s'emmêlent les unes aux autres, s'enchevêtrent en tous sens, et se confondent. Mes émotions sont à fleur de peau. Calme-toi Rose ! Tout va bien aller ! Conserver mon sang-froid est essentiel, croyez-moi sur parole. Il faut que j'assure. Si je respire profondément, j'ai du mal à calmer la boule d'excitation qui monte au creux de ma gorge. J'ai l'impression que je vais imploser tellement la pression que je me mets à moi-même est forte.

En fait, je ne tiens pas en place. Bon d'accord, je l'avoue, c'est un trait naturel de ma personnalité. Maman disait toujours que j'étais une pile à réaction dont le moteur ne nécessitait jamais de révision. Oui, elle avait un sens de l'humour très personnel, j'en conviens. J'ai longtemps été une enfant hyperactive, voilà tout. Mais quel est le problème si je mets toute cette énergie au service de mon patron ?

J'ai fini mes études il y a trois ans, après m'être spécialisée dans le marketing. Mon rêve était de travailler dans une grande agence de publicité et j'ai enfin dégoté un super emploi. Carter-Média ! Vous connaissez ? Cette boîte existe depuis six ans, et sa réputation n'est plus à faire. J'ai rencontré le directeur des ressources humaines, ainsi qu'un des actionnaires. J'ai passé un test dans lequel je devais proposer une campagne publicitaire pour un client-témoin. J'ai adoré !

Vous comprenez, sous chaque dossier se cache un nouveau challenge. Et le travail à effectuer n'est jamais le même. Vous devez sans arrêt repousser les barrières qui freinent votre imagination, et vous envoler sur des terrains vierges auxquels vous devez donner vie. C'est passionnant ! J'ai terriblement hâte de connaître les dossiers que l'on va me confier. Je me vois déjà mettre en valeur le nouveau parfum Christian Dior, ou faire la promotion d'une nouvelle compagnie aérienne...

Aujourd'hui, je rencontre le PDG et les employés du service dans lequel je vais travailler. J'en ai des fourmis dans les jambes. Comme quoi, occuper tour à tour les postes de secrétaire, de préposée au café, puis au courrier aura servi à quelque chose. Le rire moqueur de ma sœur me résonne encore dans les oreilles et je la réduis au silence immédiatement. Satanée enquiquineuse ! Quoiqu'elle dise, j'ai fait mon chemin comme tout le monde, et j'en suis fière !

J'appelle Cheyenne, ma meilleure et seule amie, pour partager la nouvelle. Comme c'était à prévoir, elle saute au plafond. C'est une blonde explosive, expansive, et délurée qui n'a pas sa langue dans sa bouche. Et cela dans tous les sens du terme. Je l'aime à la folie. Elle m'encourage, et ses ondes positives m'entourent de mille parts quand je pénètre dans l'immense bâtiment de la Sixième Rue.

Cette agence de communication est énorme. J'opère un tour sur moi-même, ébahie. Les femmes me dévisagent, mais peu m'importe. Je suis habituée, et cela ne m'atteint plus de la même manière. Le rez de chaussée est encombré d'une foule impressionnante. Je fronce les sourcils, étonnée. Il y a des panneaux publicitaires énormes, installés à intervalle régulier, que les gens admirent, et dont ils discutent en toute liberté. J'ai l'impression d'être dans un musée !

Deux malabars énormes m'arrêtent. Ils sont si grands que j'ai l'impression qu'ils pourraient m'engloutir. J'écarquille les yeux, intimidée. Une vague de chaleur inonde mon visage. passant d'un blanc ivoire à un rouge écrevisse. Pff... Gênant ! Ce n'est pas la première fois que mon corps n'en fait qu'à sa tête. Je leur présente donc mon badge et ma pièce d'identité qu'ils scannent patiemment.

- Bienvenue Mademoiselle Lewis.

- Merci, réponds-je avec un sourire aimable. Et c'est Rose. Est-ce que c'est toujours aussi animé ?

- Oui. Chaque service expose ses créations une fois qu'elles sont rendues publiques par le client... C'est à la fois l'occasion de se féliciter pour le contrat obtenu, de faire de la publicité gratuite à nos clients, et cela donne également un bon aperçu à notre future clientèle de ce dont nous sommes capables.

- Je vois. C'est impressionnant.

Ils me désignent gentiment l'ascenseur, et je les laisse travailler. Avec la marée humaine alentour, ils ont de quoi faire. Les lourdes portes métalliques s'ouvrent et deux personnes venues du rez-de-chaussée me coupent la route sans même s'excuser. J'enrage intérieurement. Les portes se referment sur moi tandis que je m'y engouffre à mon tour, et la panique me gagne. Heureusement, une main, à l'intérieur, vole à mon secours, et les retient.

- Merci, lancé-je à deux boutons de manchette, sans regarder mon sauveur.

- Sans problème, réplique une voix cristalline qui me déstabilise.

Quelle cruche ! Comment puis-je être aussi sensible à une simple fichue voix ? Ce n'est que la vibration de cordes vocales, bordel... Vibration... Oui, c'est cela. Je l'ai sentie vibrer dans tout mon corps. Dieu tout puissant ! Ne le regarde pas. Ne le regarde pas. De la main sur laquelle mon regard s'est arrêté, mes yeux remontent le long d'un bras recouvert d'une veste de costume d'un gris anthracite fascinant. Arrête-toi là, ce n'est vraiment pas raisonnable.

Mes pupilles ne semblent pas m'entendre ! Son col, serré dans une cravate fuchsia enrobe un cou à la peau légèrement mâte, bronzée. Des lèvres pleines, roses, happent mon regard indiscret et l'emportent vers un nez fin et droit, et des yeux ombragés dont je ne vois pas la couleur. Ses cheveux bruns, étonnement longs, tombent sur sa nuque avec délice, et donnent à cet homme particulièrement éclatant un air très jeune.

J'avale avec peine la boule qui obstrue ma respiration, et je tâche de me concentrer sur le voyant lumineux. Mes mains, dans mes poches, tremblent tendancieusement, et j'espère seulement que mes jambes continueront à me porter. Avant de sentir mon téléphone vibrer, je remarque que l'inconnu aux grands yeux noirs profonds me dévisage posément. Il n'y a aucune tentative de séduction dans son attitude, ni de désir au fond de ses prunelles.

C'est le regard le plus profond qu'il m'ait été donné de voir. Je sens mon souffle se bloquer dans ma gorge, mon pouls s'affoler.

Malgré tout, je soutiens son regard.

L'ouragan de ma vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant