Chapitre 6. Le Café français.

8.5K 706 27
                                    

Dans le bureau de mon supérieur, confrontée — pour la énième fois de la journée — à la désapprobation du grand patron, j'attends que les foudres de son mauvais caractère ne s'abattent sur moi.

— Pourrais-tu nous laisser un instant, Rose, s'il-te-plaît, intervient Allen avec un sourire complaisant.

— Bien sûr.

Je me rechausse avec le plus de classe possible, et je retourne dans mon bureau, quittant avec hâte cette pièce chargée de testostérones. Pourquoi diable ce type remet-il systématiquement tout en question ? Dans le couloir, je tente de voir si j'entends quelque chose, mais le silence est si pesant que je me résous à regagner mes locaux d'un pas lourd, en songeant que je n'ai jamais rencontré deux personnes aussi proches tellement différentes l'une de l'autre.

Mon estomac commence à se rebeller. Nous n'avons pas vu le temps passer, et nous n'avons rien commandé à midi. La faim se fait ardemment ressentir. Quoiqu'il arrive maintenant, ce fut une sacrée première journée. J'ai l'impression de connaître Allen depuis toujours, et je ne peux m'empêcher de dérailler lorsque Carter m'approche. Pff, voilà qui promet de jolis fou-rires, et de belles heures de solitude.

Il est vrai que la gente masculine m'a toujours posé problème. Ne me demandez pas pourquoi. Je n'en ai pas la moindre idée. Dès qu'un garçon me porte un peu trop d'attention, je deviens une plaie...  Littéralement. Cela-dit,  compte-tenu de mes antécédents, je dirais que j'ai plutôt bien géré la situation aujourd'hui... pas de chutes malencontreuses, pas d'accidents de parcours ayant entraîné de blessure. En deux mots : une réussite.

Je sais, je sais... A quel moment Carter Lobs s'est-il intéressé à moi ? Très bonne question, qui met juste l'accent sur le vrai problème : moi. Je suis une calamité. C'est vrai. J'en ai conscience. Ma tête est un imbroglio de pensées hétéroclites que j'ai moi-même du mal à trier. Mon corps ne m'obéit que très rarement, ce qui semble démultiplié par la présence du directeur. Oh, la poisse ! La poisse ! Et je suis le moulin à paroles le plus gauche de la galaxie.

Je tâche de me concentrer sur la présentation que je dois faire lundi matin au Iceberg irrationnellement colérique qui dirige cette société. Mes idées sont-elles saugrenues ? Est-ce que le problème vient de mon jeune âge ? Ou de mon vagin peut-être ? Aurait-il un problème avec les femmes ? Quoiqu'il en soit, je suis incapable de me concentrer, dans l'état actuel des choses. J'attends donc avec d'impatience des nouvelles d'Allen.

Quand le téléphone sonne, je me jette dessus, le cœur battant à tout rompre. Je suis une pile électrique en pleine possession de mes moyens. Je tâche de me calmer, pour qu'irritation, excitation, et angoisse ne s'entendent pas au son de ma voix.

—Alors quel est le verdict ? demandé-je.

—Les Stevenson ont confirmé. J'ai réservé une table pour quatre pour vingt-heures tapantes. Ne soyez pas en retard, et mettez-vous sur votre trente-et-un.

Calme-toi. Ce ne sont que des cordes vocales, et quelques tonnes de béton armé vous séparent !

—Très bien, Monsieur.

—Carter.

—Oui, Carter.

— Nous allons pouvoir vérifier vos théories.

La porte s'entrouvre légèrement tandis que je contrôle ma respiration devenue erratique, et la tête souriante d'Allen se glisse dans l'interstice. Dès que nos regards se croisent, il brandit son poing en signe de victoire avec une grimace sauvage. J'éclate de rire. Ce doit être le signal qu'il attendait puisqu'il entre, en me félicitant.

—Ne sois pas intimidée par ses grands airs, ajoute-t-il. Carter est le genre de personne à avoir besoin de réfléchir et de soupeser chaque décision. C'est un analyste d'exception, et il fait son job mieux que personne. Tu dois avoir confiance, la réciproque viendra.

L'ouragan de ma vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant