Les frères de la Nuit - 1 - L'appât Du Désir

Chapitre 4

Le coeur battant, Jaelyn releva la tête lentement. À l'embrasure de la porte, un homme la regardait, nonchalamment appuyé contre le mur, les bras croisés sur sa poitrine.

- Je vous ai fait peur, dit l'inconnu.

Sur le coup, elle ne remarqua même pas qu'il ne s'agissait pas d'une excuse, mais plutôt d'une simple remarque. La porte étant ouverte, la lumière inondait la pièce. Elle cligna rapidement les yeux, gênée par la soudaine luminosité, et observa l'individu. C'était un homme grand, assez bien bâti, et quelque peu séduisant. Ses longs cheveux bruns encadraient un visage lisse, aux lignes pures mais viriles, mettant en valeur des yeux noisettes. Mais, aussi envoûtant était l'homme, il n'en restait pas moins très effrayant. En particulier si c'était lui l'auteur de son enlèvement. Ses traits durs ainsi que la longue cicatrice qui recouvrait la moitié de son visage ne faisaient que renforcer la dangerosité qui émanait de cet homme.

Puis elle remarqua sa tenue, un costume sombre, une chemise impeccablement bien repassée. Sur sa magnifique cravate noire était dessinée un symbole, trois spirales entrecroisées au milieu desquelles se trouvait une... lune ? Sans trop savoir pourquoi, ce symbole avait quelque chose de familier, bien qu'elle était incapable de se remémorer l'endroit où elle l'avait vu. Quoiqu'il en était, l'homme était bien élégant pour un... Au fait, qu'était-il, si ce n'était pas un simple kidnappeur ? Cependant, elle n'y prêta pas plus attention. Elle était toujours très intriguée par ce symbole.

Lorsque l'homme fit un pas vers elle, l'expression sur son visage ne laissait aucun doutes quant à ses intentions: elle était en danger. En apparence, il avait l'air d'un homme banal, mais sous ses traits fins, un monstre se cachait. Derrière son costume hors de prix, elle devinait un être froid, sans coeur et sans scrupules, prêt à tout pour parvenir à ses fins.

- Tu as peut-être mal aux poignets, dit-il lorsqu'il eut remarqué ses poignets ensanglantées. Laisse moi te détacher.

Il s'exécuta en hâte. Mais malgré ses manières polies, Jaelyn avait toujours des doutes en ce qui concernait cet homme. Son instinct lui dictait qu'elle était en danger. Une bouffée de panique monta en elle.

"Parle lui Jaelyn, il faut l'occuper" ordonna une voix en elle.

Luttant contre la peur qui la paralysait, elle transforma son visage en un masque qui ne trahissait aucune émotion. L'homme ne devait pas savoir qu'elle se méfiait de lui, cela ferait échouer ses plans. N'étant pas assez forte contre lui physiquement, elle n'avait qu'une solution: faire appel à la ruse.

D'un coup d'oeil discret vers le coin du mur, elle s'assura que le morceau de vase brisé était bien à sa place. Son plan était de le récupérer pour blesser l'inconnu avant que celui-ci n'ait comprit ce qu'elle faisait. Aux premiers abords, ça avait tout l'air d'un plan idiot, elle en avait conscience. Mais son cerveau était incapable de lui insuffler la moindre idée intelligente.

- Pourquoi m'avez-vous enfermée ici ? demanda-t-elle.

L'homme s'approcha encore. Son pas avait quelque chose de sauvage, d'animal. Elle se releva, mais dû s'agripper au mur, ses jambes toujours tremblantes à cause de la peur. Elle se mit à arpenter la pièce, sous le regard de l'inconnu.

Se doutait-il de quelque chose ? Inquiète, elle se mit à l'observer discrètement. Il semblait se demander s'il allait répondre ou non.

- Il te cherche, fut son unique réponse.

Jaelyn le regardait, bouche bée. Il la cherchait ? Rien que ça ? Génial ! Quelle avancée ! Déjà, qui la cherchait ? L'homme savait-il que s'il y avait une chose chez elle qui dépassait sa peur, c'était sa curiosité ? Et son entêtement venait en deuxième position, elle devait bien l'avouer.

- Vous ne pouvez rien me dire de plus ? demanda-t-elle, en poursuivant sa discrète progression vers le morceau de verre.

Avait-il deviné son plan ? Si c'était le cas, il ne laissait rien paraître.

- Non.

Toujours ces réponses courtes ! Comment pouvait-elle en savoir plus sur la raison de sa présence ici avec si peu d'informations ? 

- Il est possible de faire de longues phrases, vous savez ?

Comme elle s'y attendait, elle ne reçut aucune réponse. Si on lui avait appris l'art de la conversation, ce n'était visiblement pas le cas de cet homme.

- Bon. Pouvez-vous au moins me dire qui vous êtes ? Puis-je au moins connaître le nom de mon kidnappeur ?

- Tu n'as pas besoin de le savoir, répliqua-t-il sur un ton mêlant lassitude et agacement.

Agacement ? C'était elle qui avait été enlevée puis enfermée dans une pièce sinistre, et c'était ce lui qui avait l'audace de paraître agacé ? Elle faillit lui répliquer une remarque cassante, mais, se souvenant de son plan, elle se retînt.

- Si vous n'êtes pas venu me parler, que faîtes vous ici ?

Me tuer ?

Elle pria secrètement pour que ce ne fut pas le cas. Elle était bien trop jeune pour mourir, alors qu'elle avait à peine vécu ! Elle n'avait jamais connu les vrais plaisirs de la vie, ni le véritable amour...  L'heure était venue d'agir. Dans quelques instants, elle pourrait prendre le morceau de vase.

- Tu es bien étrange, petite mortelle. Tu ne cris pas, tu n'as pas l'air effrayée...

Pas l'air effrayé ? Le mot était faible. Quelque soit le moment, Jaelyn avait toujours fait preuve d'une patience et d'un sang froid hors norme. Sa devise était qu'il ne fallait pas se laisser envahir par la peur, sous peine d'être paralysé. La peur durait quand on essayait de la limiter, de l'oublier ou de s'en débarrasser. Or, dans des situations comme celle-ci, un cerveau paralysé était inutile.

- Ai-je une bonne raison pour être effrayée ? rétorqua-t-elle.

Sa question sembla l'amuser, car elle vit se dessiner sur son visage un rictus, qui n'avait rien de joyeux.

- Tu le devrais. Mais ne t'inquiète pas, Jaelyn Chase...

Quoi ? Il connaissait son nom ? Comment ?

- ...je te promet de faire vite. Il te veut vivante. Mais il ne m'a pas interdit de m'amuser un peu.

Alors l'homme sortit de sa manche un couteau parfaitement aiguisé et se rapprocha d'elle avec une telle rapidité qu'elle ne vit rien venir.

Maintenant ! hurla son instinct.

Elle bondit vers le morceau de vase au même moment où l'homme se jetait sur elle. Elle fit quelques pas loin de lui mais il la rattrapa sans peine. Comment faisait-il pour se déplacer aussi vite ? Elle devait agir et vire. Elle fit volte-face, et, malgré les battements rapides de son coeur, elle enfonça le morceau dans le cou de l'inconnu. Celui-ci recula tandis que son visage passa subitement d'une expression de surprise à une expression de souffrance.

Profitant de ce que son agresseur agonisait, elle le contourna en hâte et se dépêcha de quitter cette pièce. Sur son chemin, une multitude de question l'envahit. L'avait-elle tué ? Devait-elle s'en sentir coupable ? Mais la principale: comment quitter cet endroit ? Elle courrait, de pièce en pièce, sans se préoccuper du reste.

Lorsque l'on est en danger de mort, songea-t-elle, on a l'impression que tout se déroule au ralenti, même si l'on sait que les événements se déroulent, au contraire, à la vitesse de l'éclair. Elle eut le temps d'observer toutes les pièces dans lesquelles elle passait. L'un après l'autre, tous les détails lui apparurent: les murs étaient semblables à ceux de sa cellule, les pièces étaient toutes très peu éclairées, et partout, il y avait cet étrange symbole, similaire à celui sur la cravate de l'inconnu. De même, elle eut conscience de ses propres mouvements. Ses jambes lui semblaient lourdes, son coeur battait à un rythme frénétique, si fort qu'elle crut qu'il allait exploser. Elle manqua de tomber de temps à autres, trébucha de nombreuses fois, lorsqu'enfin, elle vit cette porte. Celle de la sortie, du moins l'espérait-elle plus que tout. Il en allait de sa survie. Elle y était presque. Plus que quelques mètres...Encore un peu...Liberté, liberté, liber...

Elle se heurta contre un mur dont elle n'avait pas vu la présence. Ou plutôt, non. Pas un mur. Une personne !

- Où comptes-tu aller comme ça, humaine ?