Les frères de la Nuit - 1 - L'appât Du Désir

Chapitre 38

- Au Gabon ? aboya Sin.

Sin rangeait ses armes lorsque Jaelyn arriva, les cheveux trempés par le bain qu'elle avait prit plus tôt. Il l'y aurait volontiers accompagnée, pour lui faire connaître les plaisirs du contraste de sa chaude langue sur sa peau refroidie par la fraîcheur de l'eau. Mais, à son grand malheur, elle l'en avait empêché. Aussi avait-il du mettre de l'ordre dans les pièces métalliques. Mais lorsqu'il avait vu le parchemin dans sa main et avait reconnu l'odeur fatale des fourberies de la Kaya, il ne put retenir un juron de désapprobation.

- Jaelyn je sais que c'est ta tante et que tu tiens à elle, mais donne moi une seule bonne raison, une seule, de ne pas tuer cette maudite femme ?

Il aurait pourtant du être ravi d'avoir enfin des nouvelles de Kaya, de savoir enfin où devait-il se rendre pour achever sa mission. Mais il était partagé entre cette envie, et celle de maudire la devineresse. D'abord l'Italie, puis Les Etats-Unis... Et maintenant le Gabon. Des lieux très éloignés, sans aucun point commun. Kaya lui faisait faire un tour du monde, sans destination précise. Plus les jours passaient, plus il se demandait si elle savait réellement ce qu'elle faisait et où se cachait Klaus. 

Sin n'avait aucun doute quant à ses intentions. Elle tentait délibérément de leur faire perdre du temps car elle savait que plus il passait du temps avec Jaelyn, son âme-soeur, moins il aurait le courage de la remettre à son ennemi. Pourtant il refusait d'échouer, alors qu'il était si près du but. Jamais il n'avait été aussi proche de retrouver son frère.

Mais au fond, une part de lui refusait de se mentir à elle-même. Il aimait de plus en plus la compagnie de Jaelyn. Il avait enfin la chance de pouvoir toucher sa peau aussi douce que la soie, goûter la saveur de ses lèvres pulpeuses. Il appréciait la sensation de paix qu'il éprouvait lorsqu'il la regardait dormir, ses longs cils encadrants ses yeux clos, ses cheveux dorés éparpillés sur l'oreiller. Pour la première fois, le démon ainsi que l'homme en lui étaient comblés, alors même qu'il ne l'avait pas encore possédée complètement. Jamais il n'avait ressentit de telles émotions, si fortes, si intenses, à tel point qu'il en était effrayé par leur ampleur. 

Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de penser que ce bonheur ne serait éternel. Jaelyn avait beau faire naître en lui toute une multitude de désirs, elle n'en restait pas moins la seule qui lui permettrait de mettre un terme à son incessante chasse. Si seulement il y avait une autre solution ! Mais il avait cherché et cherché, en vain.

Il n'avait aucune piste à suivre, il n'avait d'autre choix que de se soumettre aux décisions de Kaya. Il devait donc continuer cette chasse au trésor avec pour seuls indices les énigmes que cette dernière voulait bien leur donner.

- Ta tante nous mène en bateau. Sait-elle réellement où se trouve le sorcier ? D'Italie aux Etats-Unis, des Etats-Unis au Gabon... Après ce sera quoi, la Chine ? 

- Calme toi, Sin.

- Me calmer ? Ce n'est pas une croisière que l'on fait ! Ni un voyage culturel, nom d'un chien !

Jaelyn soupira. Elle n'était pas d'accord avec Sin, quand bien même elle le comprenait. Elle ne connaissait pas les réelles intentions de sa tante, et cela la frustrait. Elle était bien décidée à prouver à Sin que Kaya n'était pas la garce qu'elle prétendait être, mais celle-ci ne faisait guère d'efforts pour l'aider. Depuis qu'elle avait découvert ce monde, la première chose qu'on lui demandait était de se fier à son Instinct. Et ce dernier lui disait - lui hurlait même - que toutes les actions de sa tante, même celles qui paraissaient les plus dénuées de sens et de raison, avaient un but précis. 

Elle ne comprenait pas non plus ce qui pouvait pousser Sin à l'aider. Pourquoi était-il si déterminé à ce qu'elle redevienne humaine ? Elle était après tout son âme-soeur, celle qui lui était destiné. Ne devait-il pas plutôt tout tenter pour la faire changer d'avis, pour la conquérir ? Et pourquoi l'idée qu'il ne fasse pas l'attristait autant ? Elle devait être ravie qu'il cherche à lui venir en aide. Mais au lieu de cela, elle ressentait plutôt une sorte de vide obscur que seul Sin pouvait combler. Le simple fait de savoir qu'une fois redevenue humaine ils prendraient différents chemins la chiffonnait. Pourquoi ? Commençait-elle à s'attacher à lui ? La voix ténébreuse de Sin la tira de ses pensées.

- J'appellerai Valerius demain matin, à l'aube. Il viendra avec mon jet privé. Nous arriverons au Gabon dans la soirée. En attendant, va te reposer, tu as eu une rude journée.  

Elle acquiesça sans mot dire, visiblement ravie de pouvoir enfin sombrer dans les bras de Morphée. 

La cabane était en bois, construite sur des poutres épaisses. Elle était munie d'une unique fenêtre qui donnait sur une forêt majestueuse et était couverte d'un toit solide fait avec des bardeaux en écorce de chêne fortement cloué à la charpente. La demeure rustique se composait de deux pièces, l'une grande, dans laquelle elle avait eu droit à son entraînement quelques heures plus tôt, l'autre plus petite, qui leur servirait de chambre pour la nuit. Le seul inconvénient : l'absence de meubles était indéniable, pas même un lit était présent. A la place, Sin avait préparé un lit fait main à même le sol, à l'aide d'une simple couette. Il n'y avait assez de place que pour une personne, ce qui signifiait que le lit avait été fait uniquement pour elle. Sin allait resté éveillé toute la nuit, sûrement afin de monter la garde. Sans le vouloir, elle fut touchée par tant d'attentions. 

En fouillant dans son sac, alors qu'elle cherchait sa chemise de nuit, elle tomba sur les deux fioles restantes que Kala lui avait donné. L'image de sa mère lui revînt. Elle voulait la revoir, entendre le son de sa voix... Décidée, elle s'empara d'une des fioles, l'ouvrit et but le contenu. Quelques minutes plus tard, ses paupières s'abaissèrent, soudain devenues trop lourdes, ses muscles se détendirent, et un sommeil pur et profond s'empara d'elle.