Les frères de la Nuit - 1 - L'appât Du Désir

Chapitre 44

Il s'était écoulé presqu'une journée entière entre leur arrivée à Pointe-Denis au Gabon et l'arrivée d'un nouveau message de Kaya sur leur destination future, et il leur avait fallu une journée de plus pour s'y rendre. 

Selon les dires de sa tante, leur avant-dernière destination se trouvait en Islande. Ils devaient se rendre à Svartifoss, une cascade, à des kilomètres de leur position actuelle. Et la beauté de la lettre dans laquelle se trouvait les informations envoyées par Kaya n'était guère suffisante pour faire disparaître l'humeur massacrante de Sin. 

N'ayant d'autre choix que de se plier à la volonté de la devineresse, ils avaient embarqué dans l'avion privé et s'étaient rendus au lieu indiqué. Durant toute la durée du voyage, Sin n'avait cessé de mettre en évidence sa mauvaise humeur par une traînée de jurons. 

Mais au fond, Jaelyn savait que son amertume n'était pas uniquement due à Kaya. Certes, il était remonté contre la devineresse, contre le fait qu'elle ne le conduise de lieus en lieux, de pays en pays, sans réelle destination. Il n'en restait pas moins que son attitude était aussi liée à ce qui s'était passé entre eux il y a de cela deux jours. Ils n'avaient jamais reparlé de cette fameuse nuit, mais une chose était sûre, depuis qu'il l'avait laissée sur le lit, pantelante de désir, il était tendu.

À son grand désarroi, elle avait constaté que l'intimité qui s'était installée entre eux au cours de ce voyage avait disparue. Jusqu'ici, passer autant de temps à ses côtés lui avait donnée l'impression d'être coupée du monde. Désormais, ils se comportaient comme de parfaits étrangers avec pour seul point commun une destination.

Il continuait de faire des courses pour elle lorsque c'était possible, faisant en sorte qu'elle ne manque de rien, l'entraînait de temps à autre, lui permettant de s'améliorer au combat. Pour le reste, la conversation, l'écoute, c'était Valerius qui s'en chargeait. Non pas qu'elle ne l'aimait pas, au contraire, ils s'étaient découverts de nombreux points communs. Mais elle regrettait presque les blagues salaces de son ancien protecteur. Leurs moments de complicité, où elle lui parlait de son passé tandis que lui lui parlait de son frère, tout cela lui manquait. Elle savait que son attitude actuelle était lié à ce qui s'était passé, mais elle ne pouvait en dire plus. Elle ne connaissait pas les réelles causes quant à ce soudain changement.

Il ne s'était rien passé d'intime entre eux depuis, il repoussait ses avances.

Sin n'avait besoin que de deux ou trois heures de sommeil par jour. Quant à elle, elle avait découvert qu'au fur et à mesure, il ne lui en fallait pas plus. Les nuits lui paraissaient considérablement plus longues depuis. De plus, elle mangeait de moins en moins, et moins souvent, sans que cela aie des conséquences sur son poids. Ses anciens besoins humains diminuaient peu à peu. Tout cela était dû à son immortalité qui se complétait. Il était peut-être trop tard pour qu'elle redevienne humaine après tout, pensa-t-elle, et bizarrement, cette perspective ne l'embêtait plus autant qu'au paravent. Ces derniers jours, elle avait établie deux listes des avantages et des inconvénients, une concernant le fait de redevenir humaine, l'autre le fait de rester immortelle. Telle ne fut pas sa surprise quand à la fin, la liste la plus pauvre était celle de la mortalité. Ce monde avait certes de nombreux inconvénients, mais il avait également beaucoup plus d'avantages qui compensaient.

Elle avait même commencé à imaginer ce que pouvait être sa vie auprès de quelqu'un comme Sin. Non... Pas quelqu'un comme Sin. Auprès de Sin, tout simplement. Il l'a faisait rire comme au tout début, la provoquait parfois... Elle avait succombé à son charme, sans le moindre remords. Il avait changé tous ses idéaux, toutes ses habitudes qui rendaient autrefois sa vie banale et monotone. Désormais, chaque jour était une nouvelle aventure, loin de toute routine. Et elle voulait qu'il la laisse entrer dans son monde, comme il le faisait avant. Elle voulait qu'il lui donne du plaisir tandis qu'elle explorait son corps. Elle voulait qu'il la serre contre lui pendant qu'elle sombrait dans un profond sommeil, comme s'il répondait au besoin de la protéger. Elle voulait par dessus tout qu'il lui fasse l'amour, sans se retenir. Elle voyait bien qu'il en mourrait d'envie. Alors pourquoi se retenait-il ?

Était-ce car il avait peur de lui faire mal ? Il lui avait expliqué une fois que pendant l'acte, une fois que les immortels avaient trouvé leur âme-sœurs, ils ne se retenaient plus, laissant libre court à leur sauvagerie, leur passion jusqu'ici retenue. Cela créait des ébats torrides, quoique bestiaux parfois. Pourtant, chaque jour, elle devenait de plus en plus forte. 

Ou y avait-il une autre raison ? Ces derniers jours, à plusieurs reprises, elle avait tenté d'aborder le sujet du sexe, posé une question ici et là... Mais chaque fois c'était comme si elle se heurtait à un mur.

L'avion s'était posé depuis plusieurs heures déjà. Valérius était partit chercher un logement pas loin d'ici pour la nuit, la laissant seule avec Sin, toujours aussi loquace, pensa-t-elle avec ironie. Après une petite randonnée de quelques minutes, ils se rendirent à la chute Svartifoss. Cette cascade n'était ni la plus grande, ni la plus puissante que Jaelyn aie déjà vu. Pourtant, ce qui l'attirait était le fait que la petite rivière tombait au milieu de magnifiques colonnes basaltiques noires et traversait ensuite une végétation assez généreuse.

La température s'était stabilisée à trois degrés Celsius, peut-être cinq maximum. Mais elle n'avait pas froid, bien au contraire, malgré le léger débardeur qu'elle portait. Un autre avantage de l'immortalité, sans doutes. 

Il fallait qu'elle entame la conversation. N'importe quel sujet lui conviendrait, du moment qu'il accepte de lui parler.

- Je devrais avoir froid avec cette température. Pourtant je me sens bien, fit-elle.

- Tes gènes de devineresse se développent.

De nouveau, il y eut un silence embarrassant. 

- Sin, soupira-t-elle. Il faut qu'on parle...

- C'est ce qu'on est en train de faire.

- Tu sais très bien ce que je veux dire. Il faut qu'on parle de ce qui s'est passé - de ce qui aurait pu se passer - l'autre nuit.

Il ne lui accorda pas même un regard en biais. 

- Sin...pourquoi tu ne me parles pas ? 

- Je ne peux pas te faire l'amour, Jaelyn. Je ne veux pas te faire souffrir, tu ne le mérites pas.

- Je suis assez grande pour juger de ce qui est bon ou pas pour moi. Je suis une adulte ! As-tu l'intention de nous condamner à l'abstinence ?

Il fit oui de la tête, pourtant elle put lire une certaine contrariété dans ses yeux. Visiblement, l'idée ne l'enchantait guère. Cela tombait bien, car à elle non plus.

Elle soupira.

- Tu ne me laisses pas le choix, Sin. Je vais devoir te violer. 

- Jaelyn...

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase, déjà elle fonça sur sa bouche et l'embrassa passionnément. Pendant quelques secondes, il resta abasourdit. Puis il la prit par la taille, elle pensait qu'il allait la serrer contre lui, mais au contraire, il la repoussa.

- On ne devrait pas.

- Cesse de réfléchir. A moins que tu ne me donnes une raison valable, je continuerai.

De nouveau, elle l'embrassa. 

Bon sang ! murmura-t-il intérieurement. Il était difficile de résister. Elle avait un goût doux et sucré. Il pouvait sentir la pointe de ses seins contre son torse. Ses mains se dirigèrent vers le creux de ses reins tandis qu'elle se cambrait pour mieux sentir la force de son érection. Valérius pouvait revenir à n'importe quel moment, mais aucun d'eux ne s'en souciait. Il se sentit brusquement submergé par un sentiment de possessivité qui lui déplaisait. 

Elle est à moi ! hurla son Esprit.

Oui !

Non !

Elle ne pouvait lui appartenir, et c'était bien dommage. Avec toute la force qu'il avait en sa possession, il s'écarta d'elle, encore.

- Mais pourquoi ? gémit-elle, toujours en proie à la vague de désir qui la submergeait.

Elle voulait plus que tout connaître les raisons de ses réticences. 

- Il vaut mieux en rester là. Je ne veux pas qu'une femme me détourne de ma quête.

Et sur ces dernières paroles, il tourna les talons et s'éloigna, la laissant seule une fois de plus.